Le 19 mars, le Conseil d’Etat a été saisi par le syndicat Jeunes Médecins d’un référé-liberté aux fins d’enjoindre au Gouvernement de prononcer un confinement total de la population par la mise en place des mesures suivantes :

  • l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical ;
  • l’arrêt des transports en commun ;
  • l’arrêt des activités professionnelles non vitales (alimentaire, eau et énergie, domaines régaliens) ;
  • l’instauration d’un ravitaillement de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement.

Se sont associés à ces demandes l’InterSyndicale Nationale des Internes ainsi que le Conseil National de l’Ordre des médecins.

Cette procédure d’urgence est prévue en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et permet au juge de prononcer toute mesure nécessaire à la sauvegarde de cette liberté fondamentale. En l’espèce, les requérants invoquaient notamment une atteinte au droit au respect de la vie, garanti par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les requérants soutenaient en effet que les Français, notamment les professionnels de santé, sont exposés au risque de propagation du virus du fait de l’insuffisance des mesures de confinement imposées par le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19. Ces mesures sont selon eux insuffisantes, en raison des exceptions qu’elles prévoient, mais également parce qu’elles font l’objet d’interprétations contradictoires et sont inégalement appliquées.

Par une ordonnance n°439674 rendue à l’issue de l’audience qui s’est tenue le 22 mars 2020, le juge des référés refuse d’enjoindre au Gouvernement d’ordonner le confinement total de la population, en considérant qu’un tel confinement pourrait avoir des implications elles-mêmes « dangereuses pour la protection de la vie » et graves pour la santé de la population.

Ainsi, le ravitaillement à domicile ne peut être organisé sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des moyens logistiques dont l’administration dispose, sauf à risquer de graves ruptures d’approvisionnement et à retarder l’acheminement de matériels indispensables à la protection de la santé.

En outre, la poursuite de certaines activités essentielles, telles que celles des personnels de santé ou des personnes participant à la production et à la distribution de l’alimentation, implique le maintien d’autres activités dont ils sont tributaires et qui leur sont indispensables, notamment le fonctionnement des transports en commun (avec des cadences certes réduites et adaptées).

S’il n’ordonne pas les mesures strictes réclamées par les requérants, le juge des référés du Conseil d’Etat estime toutefois qu’il est nécessaire de préciser la portée des mesures prises par le décret du 16 mars 2020, dès lors que certaines dispositions de ce texte présentent un caractère ambigu, en particulier au regard de la teneur des messages d’alerte diffusés à la population.

Il en va ainsi de la dérogation pour les « déplacements pour motif de santé », qui ne prévoit pas d’autre précision quant à leur degré d’urgence.

De même, le Conseil d’Etat considère que la dérogation pour les « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie » apparait trop large, « notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le jogging ».

Enfin, le Conseil d’Etat appelle également à plus de précisions concernant le fonctionnement des marchés ouverts, qui ne sont soumis à d’autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de cent personnes et « dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale ».

Dans ces conditions, le juge des référés enjoint au Premier ministre et au ministre de la santé de prendre, dans les quarante-huit heures, les mesures suivantes :

  • préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;
  • réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs à proximité du domicile» compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ;
  • évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation.

Par ailleurs, les médecins requérants demandaient au Gouvernement de prendre les mesures propres à assurer la production à échelle industrielle de tests de dépistage, ainsi que les mesures visant à assurer le dépistage des personnels médicaux. Cette demande a été rejetée par le juge des référés qui considère que « les autorités ont pris les dispositions avec l’ensemble des industriels en France et à l’étranger pour augmenter les capacités de tests dans les meilleurs délais ».

Le Gouvernement doit désormais se prononcer très rapidement au regard des injonctions qui lui ont été faites, alors que le projet de loi d’urgence sanitaire a été adopté ce même 22 mars 2020 par le Parlement et que le conseil scientifique mis en place dans le cadre de la crise du Covid-19 rendra le 23 mars 2020 son avis sur la durée et l’étendue du confinement.

23 mars 2020  | Anne Bost | Publié dans la Lettre des Juristes d’Affaires