Pour la première fois le 29 janvier 2020, la Cour de cassation a renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en visant expressément le considérant de principe utilisé par le Conseil constitutionnel : « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative » (Cass. Soc. 29 janvier 2020, n°19-40034). Si ce considérant était utilisé par la Cour de cassation depuis le 28 novembre 2012, c’était uniquement et systématiquement jusqu’alors pour refuser le renvoi de la question au Conseil constitutionnel.

Ce n’est certes pas la première fois qu’une disposition législative est soumise au contrôle de conformité à la Constitution à raison de son interprétation jurisprudentielle. Depuis la création de la QPC, le Conseil constitutionnel s’est prononcé 14 fois sur ce type de contrôle, six fois sur renvoi du Conseil d’Etat et huit fois sur renvoi de la Cour de cassation. Dans une décision du 6 octobre 2010, le Conseil constitutionnel avait fait référence, pour s’assurer de la conformité d’un texte, à « la portée que lui donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation » (Décision n°2010-39 QPC du 6 octobre 2010). La même solution était adoptée quelques jours plus tard s’agissant de l’interprétation par le Conseil d’Etat de certaines dispositions législatives (Décision n°2010-52 QPC du 14 octobre 2010).

Mais il faut souligner la clarté de cet arrêt du 29 janvier 2020 qui, à la faveur des nouvelles modalités de rédaction des décisions, rappelle les règles de recevabilité d’une QPC fondée sur une interprétation jurisprudentielle et un changement de circonstances.

L’article 23-2-2 de la Loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution précise en effet qu’une disposition légale peut faire l’objet d’une QPC si elle « n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ».

Parmi les changements de circonstances de droit, la Cour de cassation retient principalement des décisions du Conseil constitutionnel ou de la Cour Européenne des droits de l’homme. Elle n’a qu’une seule fois considéré l’une de ses propres jurisprudences comme constitutive de ce changement de circonstances justifiant un réexamen de la loi par le Conseil constitutionnel, dans une affaire relative à l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce en vigueur à l’époque (Cass. Com. 27 septembre 2018, n°18-40028). Les requérants contestaient l’application de ce texte par la chambre commerciale, qui avait reconnu dans un arrêt de 2017 la faculté du juge d’intervenir sur la fixation du prix, en cas de déséquilibre significatif. Le Conseil constitutionnel a retenu le changement de circonstances, mais a toutefois déclaré la disposition conforme à la Constitution (Décision n°2018-749 QPC, 30 novembre 2018).

S’agissant de l’arrêt rendu en janvier dernier, la Cour de cassation juge également qu’un changement de circonstances de droit est intervenu par un arrêt de cassation du 22 février 2017 (Cass. soc., 22 févr. 2017, n° 16-60123, Bull. 2017, V, n° 29). Cet arrêt, en énonçant que tout syndicat doit, pour pouvoir exercer des prérogatives dans l’entreprise, satisfaire au critère de transparence financière, confère une portée nouvelle à l’article L. 2121-1 du code du travail.

On retiendra donc que le changement de circonstances ouvrant droit au réexamen d’un texte déjà soumis au Conseil constitutionnel peut provenir, notamment, d’une jurisprudence de la Cour de cassation et que celle-ci vérifiera le caractère constant de l’interprétation jurisprudentielle avant de renvoyer la QPC.

Arrêt n°243 du 29 janvier 2020 (19-40.034) Cour de Cassation, Chambre Sociale 

25 février 2020  | Maxime de Guillenchmidt