C’est aujourd’hui, 18 novembre 2019, que débute l’examen par les députés du projet de loi « Engagement et Proximité », qui a été largement amendé avant d’être adopté en première lecture par le Sénat le 22 octobre dernier.

Les sénateurs n’ont en effet pas caché leur volonté de renforcer de façon très sensible les garanties accordées aux élus locaux, dans un climat de véritable « crise des vocations » qui ne fait que s’accentuer depuis les dernières élections municipales : d’après le rapport d’information du Sénat n°642 (session extraordinaire 2017-2018), pour la première fois en 2014, 64 communes n’avaient enregistré aucune candidature.

A quelques mois des prochaines élections municipales et alors que plus d’un élu sur deux hésitent à se porter de nouveau candidat, l’enjeu est de taille : rassurer les élus face à des difficultés et une insécurité juridique, financière, institutionnelle et même civique.

Le projet de loi a été profondément modifié par le Sénat : de 33 articles dans sa version initiale, il en contenait 122 lors de son adoption par le Sénat le 22 octobre 2019. Clairement axé sur les petites communes – rappelons que 90% des 34.979 communes françaises comptent moins de 3500 habitants –, le projet tel qu’adopté par le Sénat vise à lutter contre la fracture territoriale, améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux, conforter le rôle du maire pour trouver un meilleur équilibre avec son intercommunalité, simplifier le quotidien des élus locaux et mieux adapter certaines règles ou seuils aux réalités territoriales.

Les principales innovations du projet de loi adopté par le Sénat s’articulent notamment autour des objectifs suivants :

Un rééquilibrage de la place des maires au sein de l’intercommunalité

Dans les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), le projet de loi entend remettre les maires au cœur de l’intercommunalité en rectifiant, sur de nombreux aspects, ce dont la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite loi NOTRe) les avait privés.

Ainsi, en vue d’introduire une nécessaire souplesse dans l’organisation des compétences entre les communes et leurs intercommunalités, le projet de loi prévoit des dispositifs de transfert de compétences dites « facultatives » aux EPIC, mais aussi et surtout une diminution du nombre des compétences obligatoires des communautés de communes et d’agglomération ainsi qu’une procédure de restitution de compétences aux communes membres.

Le Sénat a notamment insisté sur la nécessité de laisser les communes organiser librement les compétences « eau » et « assainissement » (alors que la loi NOTRe prévoyait un transfert obligatoire vers les intercommunalités à compter du 1er janvier 2020).

Le projet de loi introduit en outre la possibilité de créer, au sein des conseils communautaires, un « pacte de gouvernance » dans le but de mutualiser les services, mais aussi d’associer les maires aux travaux intercommunaux, ou encore la création d’une « conférence des maires » obligatoire afin de faciliter la coordination et l’expression des élus.

Le renforcement des pouvoirs de police du maire

Aux termes du projet de loi, le maire pourra établir des amendes administratives en cas d’encombrement du domaine public, mais également faire procéder de façon plus rapide à la fermeture d’établissements dangereux recevant du public ou de débits de boisson en situation d’infraction.

La revalorisation des indemnités des élus des petites communes

Le projet de loi tel que modifié et adopté par le Sénat prévoit une revalorisation pragmatique du régime indemnitaire des élus des communes de mois de 3500 habitants. Si, conformément au projet initial, cette revalorisation est systématique, les sénateurs, soucieux de la capacité réelle des communes à financer de telles indemnités, ont proposé une revalorisation graduée (50% dans les communes de moins de 500 habitants, 30% pour les communes de 500 à 1000 habitants er 20% pour les communes de 1000 à 3500 habitants). Les efforts sont ainsi concentrés sur les plus petites communes, qui disposent de services administratifs limités et exigent donc un investissement personnel plus important des élus.

Une protection juridique renforcée

L’insécurité juridique est une des inquiétudes les plus vives exprimées par les élus, et pour cause. Une étude réalisée par la SMACL (Société mutuelle d’assurance des collectivités locales) en partenariat avec le Courrier des Maires, publiée le 13 novembre 2019, est éloquente :

64% des élus interrogés ont été confrontés, au cours de leur mandat, à des risques de responsabilité et 41% à des risques d’agression. Dans les communes de moins de 2500 habitants, ces risques sont plus élevés encore avec des résultats atteignant respectivement 81% et 53%…

Le projet de loi adopté par le Sénat vient renforcer les dispositions relatives à la protection fonctionnelles des élus, qu’il s’agisse de poursuites pénales engagées contre eux ou de droit à réparation lorsqu’ils sont eux-mêmes victimes de violences, outrages ou menaces dans l’exercice de leur mandat. Les communes auront ainsi l’obligation de souscrire un contrat d’assurance pour la protection juridique du maire. La charge financière de ce contrat sera compensée par l’Etat pour les communes de moins de 3500 habitants.

Afin de simplifier la mise en œuvre effective de la protection fonctionnelle, le Sénat a introduit une nouveauté : l’élu concerné qui en fera la demande au conseil municipal se verra automatiquement attribuer cette protection, sauf délibération contraire motivée par un motif d’intérêt général prise par le conseil municipal dans un délai de trois mois.

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Le Sénat a ainsi amorcé des avancées significatives visant à la reconnaissance, la revalorisation et la protection effectives et efficaces des élus.

Les craintes sont aujourd’hui que les députés du Palais Bourbon aient une vision moins ambitieuse des mesures nécessaires pour répondre aux préoccupations des petites communes.

En effet, le rapport de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale déposé le 7 novembre 2019 (rapport n°2357) revient sur certaines dispositions adoptées par le Sénat., en précisant que, « à quelques mois des élections municipales, plusieurs acquis de la loi NOTRe, qui recueillent désormais un relatif consensus, devaient être préservés : c’est pourquoi plusieurs disposition adoptées par le Sénat ont été supprimées ».

Ainsi, dans le rapport de la Commission, la position du Sénat sur la suppression pure et simple du transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et d’agglomération n’est pas suivie, la Commission ayant rétabli la rédaction initiale du projet de loi en la matière : assouplissement des modalités de report de la prise de compétence « eau » et « assainissement » au 1er janvier 2026 et possibilité, pour l’EPCI, de déléguer tout ou partie de ces compétences à l’une de ses communes membres.

De même, en ce qui concerne la protection fonctionnelle, la Commission a supprimé les dispositions introduites par le Sénat qui entendent rendre automatique l’octroi de la protection fonctionnelle à un élu, lorsque le conseil municipal ne s’est pas prononcé contre cette dernière dans un délai de trois mois. Il propose ainsi de rétablir le régime actuel qui permet d’accorder cette protection dès que le conseil a délibéré en ce sens.

Alors que les députés vont débuter l’examen du texte en même temps que s’ouvre le Congrès de l’Association des Maires de France (AMF), l’inquiétude des élus demeure : le texte qui sera adopté par l’Assemblée Nationale répondra-t-il au rééquilibrage tant attendu par les collectivités ?

18 novembre 2019  | Anne Bost