Permis de construire attaqué : quel recours indemnitaire pour le bénéficiaire ?

Conçu comme un instrument dissuasif, l’article L600-7 du Code de l’urbanisme est issu d’une réforme visant à maîtriser le contentieux urbanistique, en décourageant les recours contre des permis de construire lorsqu’ils sont motivés par la malveillance ou constituent un chantage au désistement contre paiement. Quel est son réel intérêt ?

La contestation d’un permis de construire devant le juge administratif peut causer un préjudice à son bénéficiaire : bien que le permis demeure en principe exécutoire, le bénéficiaire est souvent contraint d’attendre prudemment que disparaisse l’aléa inhérent à toute procédure contentieuse avant d’entreprendre ses travaux de construction, entrainant ainsi la paralysie de son projet durant une période indéfinie pouvant aller d’une dizaine de mois à plusieurs années.

Face à un recours malveillant ou « empreint d’une légèreté blâmable », le bénéficiaire souhaitant obtenir réparation de son préjudice saisissait traditionnellement le juge civil sur le fondement de l’article 1382 du Code civil et de la jurisprudence classique relative à l’abus du droit d’agir en justice. A cette première voie, l’article L600-7 en ajoute une seconde :« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts.[…] » Le groupe de travail qui proposa cet article n’a pas tranché « […] la question de savoir s’il resterait une place pour une éventuelle action devant le juge civil ou si le dispositif nouveau s’y substituerait complètement » et a suggéré de laisser aux juridictions civiles le soin de décider. Cette décision n’est pas intervenue depuis. La coexistence de deux actions aux objets identiques pose donc la question de la voie à suivre.

Le recours à l’article L600-7 peut, de prime abord, paraître préférable à l’action civile : il présente l’avantage de l’économie de moyens et de temps, la demande étant présentée dans l’instance appelée à statuer sur la légalité du permis de construire. En outre, le groupe de travail observe dans son rapport que le juge civil « n’ayant pas eu à connaître de l’action principale, n’est pas le mieux à même d’en apprécier le caractère abusif ». Il estime que l’action civile est donc moins dissuasive que le recours de l’article L600-7. Mais cette dernière observation est discutable : l’inexpérience du juge civil en matière d’urbanisme pourrait tout aussi bien peser en faveur du bénéficiaire du permis. Incompétent pour évaluer la valeur des arguments avancés contre le permis de construire, le juge civil pourrait être plus enclin à considérer un recours comme abusif dès lors qu’il aura été rejeté par le juge administratif.

Les conditions de mise en jeu de l’article L600-7 paraissent en outre plus restrictives que celles de l’action civile. Le bénéficiaire du permis doit en effet démontrer :

(i) que l’auteur du recours agit dans des conditions qui excèdent la défense de ses intérêts légitimes ;

(ii) qu’il subit un préjudice excessif – ce qui semble d’ailleurs exclure la réparation d’un préjudice moral, admis par le juge civil.

Ces conditions sont d’autant plus difficiles à satisfaire que la réforme de 2013 a précisé, sous l’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme, les critères d’appréciation de l’intérêt à agir d’un requérant. Si cette disposition ne bouleverse pas les solutions prétoriennes existantes, elle pourrait néanmoins conduire le juge à resserrer davantage son contrôle de l’intérêt à agir. Or, cet intérêt admis, il sera plus délicat de juger que la contestation d’un permis excède la défense des intérêts légitimes du requérant.

A ce jour, ni le Conseil d’Etat, ni aucune cour administrative d’appel, n’ont prononcé de condamnation sur ce fondement – ceci même lorsque le recours contre un permis a maintenu son bénéficiaire dans une incertitude de près de cinq ans ou encore lorsque les précédentes autorisations du bénéficiaire avaient déjà été attaquées par les mêmes requérants.

A ces considérations juridiques s’ajoutent des questions stratégiques, en particulier lorsque le bénéficiaire du permis est un professionnel de l’immobilier qui dispose de moyens d’actions supérieurs à ceux du requérant. Le bénéficiaire peut par exemple tenter de dissuader l’auteur du recours contre le permis de maintenir son action abusive en ouvrant de nouveaux fronts, à savoir une action en réparation devant le juge civil. Cette action pourrait d’ailleurs être introduite concomitamment à l’instance administrative, quitte à ce qu’un sursis à statuer soit prononcé par le juge civil.

L’article L600-7 ne prive donc pas de son intérêt l’action civile, tant s’en faut. Mais cette disposition pourrait à terme conduire le juge judiciaire à infléchir sa jurisprudence. Il ne serait guère surprenant, par exemple, qu’il soit reproché au bénéficiaire d’un permis de construire d’agir directement en réparation devant le juge civil alors qu’il dispose de la possibilité de le faire devant le juge administratif. Le bénéficiaire risquerait alors de voir lui-même sa responsabilité engagée sur le fondement de l’abus du droit d’agir.

La prudence commanderait donc désormais au bénéficiaire d’un permis se heurtant à un recours abusif de présenter à toutes fins une demande indemnitaire sur le fondement de l’article L600-7. En cas de rejet de celle-ci par le juge administratif, aucune autorité de chose jugée ne le priverait de la possibilité d’agir ensuite – ou de reprendre son action – au civil, en invoquant les conditions plus souples de mise en jeu de la responsabilité de l’auteur du recours, notamment au regard de la démonstration du préjudice. Ceci dans l’attente que la loi ou la jurisprudence apportent davantage de cohérence au sein de ces mécanismes indemnitaires.

Article publié dans la revue Décideurs Juridiques et Financiers, 2015

Permis de construire attaqué : quel recours indemnitaire pour le bénéficiaire ?

Conçu comme un instrument dissuasif, l’article L600-7 du Code de l’urbanisme est issu d’une réforme visant à maîtriser le contentieux urbanistique, en décourageant les recours contre des permis de construire lorsqu’ils sont motivés par la malveillance ou constituent un chantage au désistement contre paiement. Quel est son réel intérêt ?

La contestation d’un permis de construire devant le juge administratif peut causer un préjudice à son bénéficiaire : bien que le permis demeure en principe exécutoire, le bénéficiaire est souvent contraint d’attendre prudemment que disparaisse l’aléa inhérent à toute procédure contentieuse avant d’entreprendre ses travaux de construction, entrainant ainsi la paralysie de son projet durant une période indéfinie pouvant aller d’une dizaine de mois à plusieurs années.

Face à un recours malveillant ou « empreint d’une légèreté blâmable », le bénéficiaire souhaitant obtenir réparation de son préjudice saisissait traditionnellement le juge civil sur le fondement de l’article 1382 du Code civil et de la jurisprudence classique relative à l’abus du droit d’agir en justice. A cette première voie, l’article L600-7 en ajoute une seconde :« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts.[…] » Le groupe de travail qui proposa cet article n’a pas tranché « […] la question de savoir s’il resterait une place pour une éventuelle action devant le juge civil ou si le dispositif nouveau s’y substituerait complètement » et a suggéré de laisser aux juridictions civiles le soin de décider. Cette décision n’est pas intervenue depuis. La coexistence de deux actions aux objets identiques pose donc la question de la voie à suivre.

Le recours à l’article L600-7 peut, de prime abord, paraître préférable à l’action civile : il présente l’avantage de l’économie de moyens et de temps, la demande étant présentée dans l’instance appelée à statuer sur la légalité du permis de construire. En outre, le groupe de travail observe dans son rapport que le juge civil « n’ayant pas eu à connaître de l’action principale, n’est pas le mieux à même d’en apprécier le caractère abusif ». Il estime que l’action civile est donc moins dissuasive que le recours de l’article L600-7. Mais cette dernière observation est discutable : l’inexpérience du juge civil en matière d’urbanisme pourrait tout aussi bien peser en faveur du bénéficiaire du permis. Incompétent pour évaluer la valeur des arguments avancés contre le permis de construire, le juge civil pourrait être plus enclin à considérer un recours comme abusif dès lors qu’il aura été rejeté par le juge administratif.

Les conditions de mise en jeu de l’article L600-7 paraissent en outre plus restrictives que celles de l’action civile. Le bénéficiaire du permis doit en effet démontrer :

(i) que l’auteur du recours agit dans des conditions qui excèdent la défense de ses intérêts légitimes ;

(ii) qu’il subit un préjudice excessif – ce qui semble d’ailleurs exclure la réparation d’un préjudice moral, admis par le juge civil.

Ces conditions sont d’autant plus difficiles à satisfaire que la réforme de 2013 a précisé, sous l’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme, les critères d’appréciation de l’intérêt à agir d’un requérant. Si cette disposition ne bouleverse pas les solutions prétoriennes existantes, elle pourrait néanmoins conduire le juge à resserrer davantage son contrôle de l’intérêt à agir. Or, cet intérêt admis, il sera plus délicat de juger que la contestation d’un permis excède la défense des intérêts légitimes du requérant.

A ce jour, ni le Conseil d’Etat, ni aucune cour administrative d’appel, n’ont prononcé de condamnation sur ce fondement – ceci même lorsque le recours contre un permis a maintenu son bénéficiaire dans une incertitude de près de cinq ans ou encore lorsque les précédentes autorisations du bénéficiaire avaient déjà été attaquées par les mêmes requérants.

A ces considérations juridiques s’ajoutent des questions stratégiques, en particulier lorsque le bénéficiaire du permis est un professionnel de l’immobilier qui dispose de moyens d’actions supérieurs à ceux du requérant. Le bénéficiaire peut par exemple tenter de dissuader l’auteur du recours contre le permis de maintenir son action abusive en ouvrant de nouveaux fronts, à savoir une action en réparation devant le juge civil. Cette action pourrait d’ailleurs être introduite concomitamment à l’instance administrative, quitte à ce qu’un sursis à statuer soit prononcé par le juge civil.

L’article L600-7 ne prive donc pas de son intérêt l’action civile, tant s’en faut. Mais cette disposition pourrait à terme conduire le juge judiciaire à infléchir sa jurisprudence. Il ne serait guère surprenant, par exemple, qu’il soit reproché au bénéficiaire d’un permis de construire d’agir directement en réparation devant le juge civil alors qu’il dispose de la possibilité de le faire devant le juge administratif. Le bénéficiaire risquerait alors de voir lui-même sa responsabilité engagée sur le fondement de l’abus du droit d’agir.

La prudence commanderait donc désormais au bénéficiaire d’un permis se heurtant à un recours abusif de présenter à toutes fins une demande indemnitaire sur le fondement de l’article L600-7. En cas de rejet de celle-ci par le juge administratif, aucune autorité de chose jugée ne le priverait de la possibilité d’agir ensuite – ou de reprendre son action – au civil, en invoquant les conditions plus souples de mise en jeu de la responsabilité de l’auteur du recours, notamment au regard de la démonstration du préjudice. Ceci dans l’attente que la loi ou la jurisprudence apportent davantage de cohérence au sein de ces mécanismes indemnitaires.

Article publié dans la revue Décideurs Juridiques et Financiers, 2015