En 2012, une enquête est ouverte à l’encontre de Sénateurs appartenant au groupe UMP pour détournement de fonds publics. Est mis en cause le comportement présumé de certains Sénateurs consistant à utiliser à des fins personnelles une partie des reliquats de l’enveloppe destinée à la rémunération des assistants parlementaires.

 

L’un des Sénateurs mis en examen a tenté d’obtenir l’annulation de l’ordonnance de sa mise en examen, en prônant une interprétation stricte de l’article 432-15 du code pénal, qui définit précisément la qualité des personnes pouvant être auteurs de détournement de fonds. Le Sénateur a soutenu que, n’étant pas une « personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public » au sens de l’article 432-15 du code pénal mais seulement une personne investie d’un mandat électif, il n’est pas visé par le délit de détournement de fonds publics. Il en déduit qu’il ne peut être poursuivi du chef de cette infraction. Le Sénateur a également soutenu que les fonds en cause n’ont pas un caractère public. Il ajoute que ces fonds n’ont pas d’affectation précise et que par conséquent aucun acte de détournement n’a été réalisé.

 

Dans le cadre de l’instruction, la Cour de cassation a ainsi été saisie de la question de savoir si l’article 432-15 du code pénal s’applique à des Sénateurs. De plus, la Cour a dû se prononcer sur la question de savoir si les fonds litigieux revêtent un caractère public et si un acte de détournement a été réalisé.

Par un arrêt du 27 juin 2018, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a rejeté l’argumentation du Sénateur mis en examen. Elle retient que « la qualité de personne chargée d’une mission de service public est reconnue à toute personne chargée, directement ou indirectement d’accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général, peu important qu’elle ne disposât d’aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique, que la mission reconnue aux parlementaires est par essence même une mission d’intérêt général ». La réponse de la Cour est claire : les parlementaires doivent être regardés comme étant chargés d’une mission de service public au sens de l’article 432-15 du code Pénal. Ils peuvent donc être poursuivis pour détournement de fonds publics sur le fondement de cet article.

Par cette décision, la Cour de cassation tend à rendre superfétatoire la catégorie des « personnes investies d’un mandat électif » visée par certaines infractions. En effet, le législateur a introduit des nuances de rédaction dans le code pénal : certains délits visent expressément la catégorie de « personnes investies d’un mandat électif » (la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts ou encore l’octroi d’avantages injustifiés) tandis que d’autres, comme le détournement de fonds publics ou la concussion, ne visent que les « personnes dépositaires de l’autorité public ou chargées d’une mission de service public ».

La Cour de cassation ne tire pas de conséquence de ces nuances de rédaction : même lorsqu’un texte répressif ne vise pas spécifiquement les personnes investies d’un mandat électif, les parlementaires – et, par extrapolation, toute personne investie d’un mandat électif public – relèvent néanmoins de la catégorie des personnes chargées d’une mission de service public.

 

En ce qui concerne le caractère public des fonds, la Cour de Cassation rejette une nouvelle fois les arguments du Sénateur mis en cause. En effet, elle considère que les fonds en question sont effectivement des fonds à caractère public. D’autre part, elle juge que l’usage des fonds litigieux doit se faire dans un but déterminé. Ces fonds doivent être utilisés pour rémunérer les collaborateurs des parlementaires ou alors ils doivent être remis au groupe parlementaire. En aucun cas ils ne doivent revenir personnellement aux Sénateurs. Du fait de ces deux éléments, la Cour de Cassation en déduit que le requérant n’est pas fondé en sa demande. Par conséquent, la qualification de détournement de fonds publics doit être retenue.

 
 

18 juillet 2018  | Maxime de Guillenchmidt