Le gérant d’une société avait utilisé les fonds de sa société pour effectuer des achats d’environ 8000 bouteilles de champagne, pour un montant total de 131.989 euros. Poursuivi pour abus de biens sociaux, il avait alors condamné par la Cour d’appel de Reims à une peine d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende.

Son épouse, qui était directrice administrative et financière de la société, avait elle aussi été renvoyée devant la juridiction répressive du chef de délit de recel d’abus de biens sociaux, et avait été condamnée à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis.

Ayant relevé appel de cette décision, les deux époux reprochaient aux juges du fond d’avoir caractérisé l’infraction d’abus de biens sociaux en se fondant exclusivement sur le constat tiré de la contrariété de ces achats avec l’intérêt de la société, sans rechercher s’ils avaient été effectués ou non dans l’intérêt personnel du dirigeant, et d’avoir instauré une présomption de culpabilité à l’encontre de l’épouse du gérant, retenue coupable du délit de recel d’abus de biens sociaux au seul motif qu’elle ne pouvait pas, en sa qualité de directeur administratif et financier, ignorer les achats effectués par son époux et passés en comptabilité.

Par un arrêt du 30 janvier 2019 (Cass. Ch. Crim. 30 janvier 2019 n°17-85.304), la Cour de cassation rejette le pourvoi et saisit cette occasion pour faire un rappel des éléments constitutifs des délits d’abus de biens sociaux et de recel de ce même délit.

En vertu de l’article L241-3 du code de commerce, le fait d’agir contrairement à l’intérêt social ne suffit pas à caractériser l’infraction d’abus de biens sociaux. Encore faut-il en effet que la personne ait agi « à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ». Les juges du fond apprécient l’existence de cet élément en le déduisant, dans la majorité de cas, de l’utilisation des biens de la société contraire à l’intérêt social.

En ligne avec cette solution, la Cour d’appel avait caractérisé l’intérêt personnel du gérant par l’absence d’intérêt social des dépenses réalisées et qui ressortait du fait que :

  • les clients contactés par les enquêteurs avaient déclaré n’avoir jamais reçu de bouteilles de champagne comme cadeaux ;
  • la consommation des bouteilles de champagne au sein de la société ne pouvait être considérée que comme marginale « au vu de l’objet de la société et des documents produits ».

La Cour de cassation, fidèle à sa jurisprudence, a confirmé le raisonnement de la Cour d’appel en estimant que « l’absence de justification du caractère social des dépenses de réception, et de cadeaux d’affaire engagées par le gérant, au moyen de fonds sociaux, l’ont nécessairement été dans son intérêt personnel. »

A défaut pour le gérant d’avoir apporté la preuve justifiant le caractère social de ces achats, la Cour de cassation a retenu qu’il avait nécessairement agi à des fins personnelles et a par conséquent confirmé sa condamnation pour délit d’abus de biens sociaux.

Quant à l’épouse, la Cour de Cassation a rejeté l’argument tiré de la présomption de culpabilité soulevée par l’épouse du gérant, également directrice administrative et financière de la société, et a confirmé la décision des juges de fond de condamnation pour recel d’abus de biens sociaux, en estimant qu’elle « a bénéficié, en connaissance de cause, du train de vie de son époux permis par les faits d’abus de biens sociaux dont ce dernier a été reconnu coupable ». Les fonctions de l’épouse au sein de la société rendaient en effet impossible le fait qu’elle puisse ignorer à qui étaient destinées les bouteilles de champagne achetées avec les fonds de la société … et bues à la maison.

26 avril 2019  | Maxime de Guillenchmidt et Eleonora Perrotta