Le 19 mars 2019, le sénateur Alain Richard a déposé une proposition de loi, complétée par une proposition de loi organique, ayant vocation à renforcer la cohérence et la lisibilité d’un certain nombre de dispositions en matière électorale. Ces lois « visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral » ont été adoptées le 2 décembre 2019, après que le Conseil constitutionnel a rendu deux décisions de conformité le 28 novembre 2019 (L.O. n° 2019-1268, 2 déc. 2019 ; L. n° 5019-1269, 2 déc. 2019 ; Cons. const., déc. n° 2019-792, 28 nov. 2019 ; Cons. const., déc. n° 2019-793, 28 nov. 2019).

Les mesures mises en œuvre sont notamment inspirées par les observations et recommandations formulées par le Conseil constitutionnel à la suite des élections législatives de 2017. Les sages avaient en effet souligné un certain nombre d’incohérences au sein du système actuel (Cons. const., déc. n° 2019-28, 21 févr. 2019). De manière plus globale, ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une réflexion relative à la nécessité d’une refonte du droit électoral, lequel s’est construit par sédimentation et manque désormais d’homogénéité.

Avec l’adoption de ces lois relativement courtes, les parlementaires poursuivent les efforts entrepris en matière de moralisation de la vie politique, tout en améliorant la lisibilité des dispositions du code électoral. Ces dispositions devraient notamment bénéficier à la sécurité juridique, en offrant aux candidats et à leurs équipes de campagne un cadre juridique moins incertain.

Si la loi ordinaire rationalise l’organisation même des élections – notamment en matière de propagande et de bulletins de vote – et harmonise les sanctions en cas de manquements aux obligations attachées au financement de campagnes électorales, elle présente également de réelles innovations. Elle apporte en effet une modernisation nécessaire en matière de financement électoral, en permettant désormais aux candidats et aux partis politiques de recevoir des dons par le biais de plateformes de paiement en ligne.

Or, malgré ces intentions affichées, ces lois ne constituent pas une recodification aboutie du droit électoral, telle qu’attendue et discutée depuis de nombreuses années. La difficulté à réaliser de réelles avancées dans certains domaines, telle qu’elle ressort parfois des débats parlementaires, laisse transparaitre la dimension particulièrement sensible de ce pan du droit, lequel touche directement à l’exercice du pouvoir et à son encadrement.

C’est donc aux tribunaux administratifs et au Conseil constitutionnel que continuera d’échoir la mission de trancher, au cas par cas, les contentieux électoraux engendrés par des règles parfois peu lisibles qui laissent encore planer des incertitudes pour les candidats.

La clarification en matière de financement, de contrôle des comptes de campagne, d’inéligibilité et d’incompatibilités 

La modernisation des moyens de collecte des dons 

L’article premier de la loi ordinaire répond aux attentes des candidats et prend acte des évolutions sociétales en modernisant les moyens de financement des campagnes électorales. Les associations de financement électorales, ainsi que les mandataires financiers, auront désormais la possibilité de recourir à des prestataires de service de paiement en ligne afin de recueillir les dons de personnes physiques. Cette possibilité est étendue aux partis ou groupements politiques.

Cet amendement – non prévu dans la proposition initiale – fait écho à la récente décision du Conseil constitutionnel concernant l’absence de conformité avec le droit électoral des dons faits aux candidats par l’intermédiaire de l’opérateur de paiement en ligne PayPal (Cons. Const., déc. n° 2018-5409 AN, 25 mai 2018). Le Conseil avait toutefois souligné, à l’occasion d’une autre décision (Cons. const., déc n° 2019-28 ELEC, 21 févr. 2019), que tout assouplissement des modalités de recueil des dons devrait nécessairement être accompagné par la redéfinition du cadre garantissant la traçabilité des opérations financières et, notamment, la fiabilité de la justification de la qualité de personne physique des donateurs.

Cette nouvelle possibilité, dès lors qu’elle déroge directement au principe selon lequel toutes les opérations financières liées au financement de campagne doivent transiter directement par le compte bancaire du mandataire désigné par le candidat, devra être encadrée de manière étroite. Un décret en Conseil d’Etat devra donc déterminer le cadre applicable à ces transferts financiers.

La modification marginale des règles applicables aux comptes de campagnes et à leur contrôle

Un allègement des obligations attachées à l’établissement des comptes de campagne

L’article 2 de la loi ordinaire a vocation à simplifier et à clarifier les dispositions de l’article L. 52-12 du code électoral relatif aux obligations des candidats en matière de comptes de campagnes. Si la loi échoue à modifier le seuil des suffrages imposant l’établissement des comptes de campagne, elle assouplit cependant l’obligation relative au recours à un expert-comptable.

L’obligation d’établir un compte de campagne dès que les candidats ont obtenu au moins 1% des suffrages exprimés ou ont bénéficié de dons de personnes physiques est maintenue. Le texte initialement soumis au Sénat proposait de relever ce seuil à 2% ce qui aurait, d’une part, simplifié les démarches administratives des candidats et, d’autre part, permis à la CNCCFP de se concentrer sur les comptes présentant les enjeux les plus importants.

La loi a finalement maintenu le seuil en vigueur et rendu obligatoire, compte tenu du rétablissement de la circonscription unique, le dépôt d’un compte de campagne pour toutes les listes de candidats aux élections européennes, quel que soit leur score.

Le recours à un expert-comptable n’est actuellement pas obligatoire dans deux cas : lorsqu’aucune dépense ou recette ne figure au compte de campagne ou lorsque le candidat a reçu moins de 1% des suffrages exprimés et qu’il n’a bénéficié d’aucun don émanant de personnes physiques.

La nouvelle rédaction de l’article supprime la première possibilité, laquelle va en même temps de soi, et relève le seuil à 5% des suffrages exprimés pour les élections législatives, régionales, départementales, municipales et communautaires et à 3% pour les élections européennes et les élections de l’assemblée de la Polynésie française. Cette exonération sera néanmoins désormais conditionnée au respect d’un montant de recettes et de dépenses maximum fixé par décret.

Remarque : pour l’élection présidentielle, l’obligation de dépôt du compte de campagne, ainsi que la présentation de ce compte par un membre de l’ordre des experts-comptables et des comptables agréés s’imposent à tous les candidats (L. n° 62-1292, 6 nov. 1292, art.3, II).

Ces dispositions ont vocation à simplifier les démarches des candidats mais également à réduire les coûts engendrés par le recours à un expert-comptable.

Des clarifications clefs quant au financement et au contrôle des comptes de campagnes

Le législateur a entendu, en précisant la rédaction de l’article L. 52-8 du code électoral, interdire aux personnes morales de garantir des prêts non seulement aux partis et groupements politiques mais également aux candidats. Pour rappel, la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique avait introduit les dispositions selon lesquelles, parmi les personnes morales, seuls les partis et groupements politiques, ainsi que certains établissements de crédit ou sociétés de financement, peuvent consentir des prêts aux candidats.

Par ailleurs, le point de départ du délai laissé à la CNCCFP pour se prononcer sur la conformité des comptes de campagne déposés par les candidats est harmonisé. Désormais, ce délai est de 6 mois, non plus à compter du dépôt individuel du compte, mais à partir de la date limite de dépôt de l’ensemble des comptes de campagne prévue à l’article L.52-12 du code électoral, soit 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin (Art. 3)

Enfin, la loi ordinaire a entendu spécifier les modalités de refus de remboursement forfaitaire des dépenses électorales lorsque les candidats ne se sont pas conformés à leur obligation de déclaration de situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (ci-après « la HATVP »). La nouvelle rédaction de l’article L. 52-11-1 du code électoral apporte des clarifications importantes concernant les conditions d’application de cette sanction : elle sera applicable en l’absence de déclaration dans le délai légal – soit deux mois après l’élection du candidat – au titre du seul scrutin pour lequel les dépenses ont été engagées (Art. 4)

La rationalisation partielle du régime des sanctions d’inéligibilité

La clarification du régime des sanctions d’inéligibilité pour les élections municipale, départementales, régionales, législatives et européennes

Jusqu’à présent, la rédaction de l’article L. 118-3 du code électoral prévoyait que le prononcé d’une sanction d’inéligibilité par le juge de l’élection était :

  • soit facultatif, dans l’hypothèse où le candidat n’avait pas déposé de compte de campagne dans les conditions et délais prévus ou en cas de dépassement du plafond des dépenses électorales ;
  • soit systématique, lorsque le rejet du compte de campagne résulte d’une volonté de fraude ou d’un manquement particulièrement grave.

Cette rédaction créait deux régimes de sanctions distincts – inéligibilité facultative ou obligatoire en fonction du type de manquement – alors qu’en pratique, le juge prononçait l’inéligibilité uniquement lorsqu’il estimait que l’irrégularité présentait un degré de gravité suffisant. Le Conseil constitutionnel avait souligné cette ambiguïté et la nécessité de rendre ces dispositions plus claires, dès lors que la pratique différait des termes du code électoral (Cons. const. déc n° 2019-28 ELEC, 21 févr. 2019).

L’article 5 de la loi ordinaire et l’article 1er de la loi organique rectifie la situation en précisant qu’une peine d’inéligibilité pourra être prononcée à la condition que le juge relève une volonté de fraude ou un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales lorsque le compte n’a pas été déposé dans les délais, est en dépassement ou a été rejeté à bon droit. La sanction reste sans effets sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision.

L’article 2 loi organique, harmonise par ailleurs les régimes de sanctions pour les élections législatives en précisant que l’inéligibilité, prononcée pour manquement aux obligations fiscales, ne remet pas davantage en cause les mandats acquis antérieurement par le candidat

L’absence de modification du point de départ de la peine d’inéligibilité

Le rejet d’une des mesures prévues par la proposition de loi ordinaire illustre bien les difficultés rencontrées pour faire évoluer le droit électoral existant. Il était prévu de modifier l’article L.118-4 du code électoral afin que le point de départ d’une peine d’inéligibilité ne soit plus la date de la décision définitive du juge de l’élection mais celle du premier tour du scrutin de l’élection concernée. Cette disposition entendait remédier au traitement inéquitable des candidats découlant du fait que des sanctions sont prononcées à des dates différentes, en fonction de la durée de l’instruction, pour des manquements similaires.

Le Sénat a décidé de supprimer cette disposition qui présentait, selon lui, deux inconvénients majeurs, à savoir la remise en cause rétroactive des mandats acquis et la possibilité pour un candidat déclaré inéligible de se présenter plus rapidement à un nouveau scrutin. Il avait par la suite été envisagé, au cours des débats, que le juge de l’élection veille à ce que les peines d’inéligibilité prononcées assurent un traitement équitable des candidats à un même scrutin. A défaut de consensus, le droit en vigueur a cependant été maintenu.

Le durcissement des incompatibilités pour certaines fonctions préfectorales

L’article 6 de la loi ordinaire entend notamment durcir le régime des incompatibilités pour les élections municipales et départementales en allongeant le délai de carence entre l’exercice de fonctions électives  et de certaines fonctions préfectorales. Désormais, les sous-préfets, secrétaires généraux et directeurs de cabinet de préfet ne pourront pas se présenter aux élections locales dans le département dans lequel ils ont exercé leurs fonctions pendant 2 ans, au lieu d’1 an. Une obligation similaire est créée par la loi organique concernant l’élection des députés (Art. 3).

L’amélioration des conditions d’encadrement de la propagande électorale et des opérations de vote

L’encadrement du déroulement de la campagne électorale

La rationalisation des interdictions en matière de propagande électorale et de la durée des campagnes électorales

La loi ordinaire procède à une uniformisation attendue des règles applicables en matière d’interdiction des différents moyens de propagande à l’approche du scrutin. Son article 7  met ainsi fin à la divergence des règles calendaires existante entre, d’une part, les réunions électorales – jusqu’alors autorisées la veille du scrutin – et, d’autre part, la distribution de tracts et la diffusion de propagande électorale – interdites à compter de la veille du scrutin à zéro heure.

Dorénavant, ces règles seront regroupées au sein de l’article L. 49 du code électoral, lequel interdit de manière uniforme la distribution de tract, la diffusion de propagande électorale y compris par voie électronique, les appels téléphoniques en série d’électeurs et la tenue de réunions électorales à compter de zéro heure la veille du scrutin. La réorganisation du code électoral et l’harmonisation des interdictions devraient ainsi nettement améliorer la compréhension des règles applicables.

En outre, son article 8 met en cohérence le calendrier de campagne électoral applicable aux élections législatives avec celui des autres élections. Désormais, la durée de la campagne pour le premier tour des élections législatives est réduite de 20 à 14 jours.

Enfin, l’article L. 306 du code électoral, relatif à l’élection des sénateurs, est modifié afin qu’il soit précisé que les règles en matière de propagande prévues pour les autres élections leurs sont également pleinement applicables (Art. 12).

L’interdiction de communiquer les résultats des élections présidentielles et européennes en Outre-Mer avant la fin du scrutin en métropole

L’article 9 précise, quant à lui, les contours de l’interdiction de communiquer les résultats, partiels ou définitifs, d’une élection générale avant la fermeture du dernier bureau de vote pour les élections présidentielles et européennes. Dans la mesure où pour ces élections, la République forme une circonscription unique, elle doit être entendue comme prohibant totalement la communication des résultats aux électeurs, non seulement avant la fin du scrutin dans les départements d’outre-mer mais également avant l’achèvement de la consultation en métropole.

En effet, la rédaction antérieure de l’article L. 52-2 du code électoral semblait conditionner l’interdiction de la diffusion des résultats électoraux à la fin du scrutin dans les départements d’outre-mer concernés, alors même que l’élection en métropole n’avait pas encore eu lieu ou était en cours.

Cette mesure, introduite par un amendement du Gouvernement devant le Sénat, entend préserver la sincérité du scrutin – pouvant être altérée par la diffusion massive et rapide de résultats en cours d’élection – et à prévenir des contentieux liés à une ambiguïté rédactionnelle.

Contenu des bulletins de vote

La loi ordinaire rassemble également au sein de l’article L.52-3 du code électoral les interdictions relatives aux informations que peuvent ou non comporter les bulletins de vote. Ceux-ci ne peuvent pas mentionner de noms de personnes autres que ceux du ou des candidats et de leurs suppléants éventuels, à l’exception des élections pour la Ville de Paris et les communes de Marseille et Lyon, pour lesquelles un candidat désigné comme devant présider l’organe délibérant pourra être mentionné. Cette interdiction était auparavant comprise dans la partie réglementaire du code électoral. Une interdiction similaire est désormais prévue concernant l’utilisation de photographies ou de représentations de personnes.

Au vu de la récente utilisation de photographies d’animaux par certains partis durant la campagne électorale des dernières élections européennes, l’article 10 précise qu’il est interdit de faire figurer la photographie ou la représentation d’un animal sur le bulletin de vote. L’utilisation d’emblèmes reste en revanche tolérée.

Enlèvement d’affiches électorales apposées irrégulièrement

L’article 11 de la loi ordinaire autorise le maire ou le préfet à procéder, après une mise en demeure, à l’enlèvement d’office d’affiches électorales apposées en dehors des emplacements prévus à cet effet. La possibilité d’imputer les coûts de nettoyage sur l’aide publique allouée aux candidats, dès lors que celui-ci ne parvenait pas à démontrer l’absence de sa responsabilité dans cet affichage sauvage, a été discutée lors de débats. Jugeant cette sanction excessive, la Commission de l’Assemblée nationale a toutefois décidé d’abandonner cette dernière disposition. 

La garantie de la stabilité du droit avant un scrutin

A l’occasion de la définition des modalités d’entrée en vigueur de la loi ordinaire, il est consacré un principe – jusqu’ici régulièrement rappelé par le Conseil constitutionnel et respecté par le législateur – tenant à ce qu’aucune modification du régime électoral ou du périmètre des circonscriptions ne puisse intervenir dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin (Art. 13).

Cette règle sera désormais codifiée à l’article L. 567-1 du code électoral, au sein d’un Titre premier nouveau « Stabilité du droit dans l’année qui précède le scrutin » du Livre VIII, désormais intitulé « Procédure de modification du régime électoral et du périmètre des circonscriptions ».

Dès lors, la loi ordinaire entrera en vigueur le 30 juin 2020, à l’exception de son article 6 relatif aux incompatibilités entré en vigueur dès le 4 décembre 2019. Ces dispositions ne seront donc pas applicables aux prochaines élections municipales de 2020.

Les dispositions de la loi organique tirant les conséquences de la loi ordinaire pour les élections sénatoriales et législatives sont quant à elles entrées en vigueur dès la promulgation de la loi. Seul l’article 4, principalement dédié à la mise en œuvre des nouvelles dispositions pour les élections présidentielles, entrera en vigueur le 30 juin 2020.

9 janvier 2020  | Anne Bost & Julia Estrade