En marge de la polémique qui entoure l’élection de M. Kim Jong-yang en tant que nouveau Président de l’Organisation internationale de police criminelle (« Interpol »), se pose la question de la régularité de la démission de son ancien Président.

A la suite de la disparition de M. Meng Hongwei en septembre 2018, Interpol acceptait sa démission, présentée sous la forme d’une lettre dactylographiée et sans signature manuscrite en date du 5 octobre 2018 et transmise par les autorités chinoises[1]. Dans ce contexte, et si ces informations s’avéraient exactes, il se pose la question de savoir si Interpol pouvait régulièrement accepter cette démission au regard du droit de la fonction publique internationale.

Dans une affaire aux circonstances proches, ayant donné lieu au Jugement n°1232, le Tribunal administratif de l’Organisation Internationale du Travail (« TAOIT ») répondait par la négative à la question de savoir si une demande de mise à la retraite anticipée pouvait être acceptée en cas de contrainte.

Dans cette affaire, le requérant, ressortissant de l’ancienne République démocratique allemande, était le Directeur de la Division du Patrimoine Culturel en poste à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (« UNESCO ») au moment des faits. A l’occasion d’une visite à Berlin-Est, il avait été arrêté, puis condamné et maintenu en détention par les autorités allemandes. Par une lettre en date du 21 mars 1980 portant sa signature, il faisait part de son intention de démissionner. Le Directeur général de l’UNESCO estimait qu’il ne pouvait accepter cette démission. A la suite de sa libération, alors qu’il n’était pas autorisé à quitter le territoire, le Directeur de la Division du Patrimoine Culturel sollicitait sa mise à la retraite anticipée le 20 juin 1984, qui était acceptée par le Directeur général de l’UNESCO le 5 juin 1984.

Dans son Jugement n°1232 (considérant 4), le TAOIT estimait que la demande de mise à la retraite anticipée avait été rédigée et signée sous la contrainte puisqu’elle avait été acheminée par les autorités de la République démocratique allemande et ne respectait pas les règles statutaires de l’UNESCO. Le TAOIT ajoutait que le requérant ne se trouvait pas dans une situation lui permettant de correspondre librement avec l’UNESCO puisque, même après sa libération, il restait sous un strict contrôle des autorités et ne pouvait quitter le territoire. Enfin, le TAOIT prenait en considération le fait que la retraite anticipée était désavantageuse pour le requérant.

Le TAOIT en tirait la conclusion que le principe d’indépendance des fonctionnaires internationaux interdisait à l’UNESCO d’accepter la demande de retraite anticipée :

« […] à partir du moment où le fonctionnaire a été en mesure d’apporter la preuve du vice qui a affecté son consentement, l’Organisation avait le devoir d’en tirer les conséquences, en application des principes généraux qui garantissent l’indépendance des fonctionnaires internationaux : cette indépendance exclut en effet que la cessation anticipée des fonctions puisse intervenir si la demande de l’intéressé lui est dictée par un Etat membre. C’est d’ailleurs cette doctrine qui a conduit l’UNESCO à refuser d’accepter les démissions que, sous la contrainte, le requérant lui avait présentées en 1980 et 1981. » (considérant 4).

Au regard de cette jurisprudence, il est tentant de s’interroger sur ce que serait la position du TAOIT s’il était saisi d’une éventuelle requête de l’ancien Président d’Interpol. Toutefois, avant même que le fond de l’affaire ne soit examiné, se poserait la question de la compétence du TAOIT[2]. En effet, le Président d’Interpol est-il un « fonctionnaire » au sens de l’article II du Statut du TAOIT ?

Dans l’affaire ayant donné lieu au Jugement n°2232, la Conférence des Etats parties de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (« OIAC ») avait décidé de mettre fin à l’engagement du Directeur général avec effet immédiat. Devant le TAOIT, la défenderesse faisait valoir que le requérant, en sa qualité de Directeur général, n’était pas un « fonctionnaire » au sens de règles statutaires (considérants 5 et 6). Le TAOIT relevait pourtant que c’était le cas en raison de sa qualité de chef du Secrétariat Technique et au regard des dispositions de son Statut, de la déclaration de reconnaissance de compétence du Tribunal et du Règlement du personnel (considérants 7 et 8).

Au regard des missions du Président d’Interpol et du cadre juridique d’Interpol, il n’est pas certain que l’analyse du TAOIT puisse être transposée en l’espèce.

[1] Article du journal LeMonde, « Sous pression, Interpol se refuse à contrarier la Chine et malgré la disparition de son Président » du 9 novembre 2018.

[2] Interpol fait partie des organisations internationales affiliées au TAOIT :

https://www.ilo.org/tribunal/membership/lang–fr/index.htm.

21 novembre 2018  | Rafaela Choairy