Arrêt du 31 janvier 2019, International Management Group c. Commission européenne,  aff . jointes C-183/17 P et 184/17 P

 

L’affaire qui oppose IMG (International Management Group) à la Commission européenne est insolite. L’arrêt du 31 janvier 2019 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne est de nature à constituer un précédent dans le droit des organisations internationales.

IMG est une petite organisation internationale, ayant son siège en Serbie, créée en 1994 à la suite des guerres dans les Balkans pour reconstruire les nouveaux Etats. Très vite cette organisation, experte dans le domaine de la coopération et du développement et spécialisée dans les interventions dans les pays en crise ou en guerre a pris une certaine envergure. Son action s’est étendue au Proche Orient (Irak), en Afrique (Soudan, Libye…) en Asie (Myanmar) et en Amérique latine. Pendant plus de vingt ans, elle est intervenue dans ces régions pour l’Union européenne, afin d’exécuter des programmes d’action financés sur le budget général de l’UE, en gestion conjointe sur la base de conventions de délégation. Le succès, l’efficacité et le moindre coût des interventions d’IMG n’a pas manqué de susciter les réactions d’acteurs nationaux puissants qui interviennent aussi sur ce marché de l’aide au développement et à la reconstruction. Tel est le cas en particulier du GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit), agence allemande de coopération internationale qui opère dans plus de 130 Etats, emploie des milliers de personnes et dispose d’un budget de deux milliards d’euros.

Par une décision de 2013 relative au programme d’action en faveur du Myanmar financé sur le budget général de l’UE, la Commission a considéré IMG comme une organisation internationale déjà établie dans cet Etat et associée à la mise en œuvre de projets de l’Union. En effet, aux termes de la réglementation européenne financière applicable, la gestion indirecte des projets financés par le budget européen est confiée notamment à des « organisations de droit international public créées par des accords intergouvernementaux ainsi que par des agences spécialisées créées par celles-ci ».

En février 2014, l’OLAF a informé la Commission qu’il avait ouvert une enquête sur le statut d’IMG. Quelques jours plus tard, à titre conservatoire, le directeur général de la coopération internationale et du développement de la Commission interdisait la conclusion de toute nouvelle convention de délégation avec IMG au titre d’une gestion indirecte du budget de l’Union et l’extension de toute convention déjà conclue avec IMG au titre d’une gestion conjointe. Il justifiait ces mesures par les doutes que l’analyse initiale de l’OLAF faisait apparaître au sujet du statut d’IMG : tout d’abord, cinq Etats membres de l’Union qu’IMG présentait comme ses membres ne se considéraient pas comme tels ; ensuite, le secrétaire général de l’ONU avait indiqué qu’IMG ne constituait pas une agence spécialisée ; enfin, des incertitudes existaient quant aux pouvoirs des personnes ayant représenté certains Etats lors de la signature de l’acte constitutif d’IMG.

Dans son rapport définitif, l’OLAF a considéré qu’IMG n’était pas une organisation internationale et il a recommandé à la Commission d’imposer des sanctions à IMG ainsi que de procéder à la récupération des sommes qui lui avaient été versées en cette qualité. Le 8 mai 2015, la Commission a informé IMG qu’elle ne conclurait plus avec celle-ci de nouvelle convention de délégation de gestion indirecte en raison des doutes sur le statut d’organisation internationale d’IMG. Ces décisions ont été attaquées par l’organisation mise en cause devant le Tribunal mais ce dernier a considéré qu’aucun des moyens invoqués n’était susceptible de prospérer et il a rejeté les recours.

Dans ses pourvois incidents, la Commission alléguait que les décisions litigieuses n’avaient pas eu des effets juridiques obligatoires mais seulement des effets factuels, en ce qu’IMG ne disposait d’aucun droit à ce que de nouvelles conventions de délégation soient conclues avec elle.

La Cour, confirmant le raisonnement du Tribunal à cet égard, a constaté d’une part que la décision de la Commission constituait une décision de financement ayant non seulement pour effet juridique, mais également pour objet même, de modifier la décision initiale, en désignant GIZ comme entité chargée de l’exécution de l’action de développement du commerce prévue dans le cadre du programme d’action pour le Myanmar en lieu et place d’IMG. D’autre part, la Cour a estimé que c’est à bon droit que le Tribunal avait jugé que la Commission avait fait perdre à IMG tant la qualité juridique d’entité sélectionnée pour être en charge d’une tâche budgétaire que toute possibilité effective de conclure la convention de délégation correspondante. Pour l’avenir, en effet, la décision, née et actuelle, de la Commission de ne plus conclure aucune convention « jusqu’à ce qu’il y ait une certitude absolue quant au statut d’IMG comme organisation internationale » a privé l’intéressée de toute chance effective de se voir confier de nouvelles tâches d’exécution budgétaire et accorder les fonds correspondants dans le cadre d’une gestion indirecte du budget de l’Union.

En revanche, la Cour a aussi constaté que le Tribunal n’avait pas contrôlé la légalité des décisions litigieuses au regard de la définition retenue par la réglementation financière qui comprend, entre autres, les « organisations de droit international public créées par des accords intergouvernementaux ». Le Tribunal s’est limité à affirmer que les éléments de preuve présentés par IMG ne mettaient pas en cause les doutes de la Commission quant au statut d’organisation internationale d’IMG. Ce faisant, selon la Cour, le Tribunal a jugé à tort que la Commission n’avait pas commis d’erreur de droit ni d’erreur manifeste d’appréciation en justifiant l’adoption des décisions litigieuses par les doutes qu’elle entretenait au sujet du statut d’organisation internationale.

En effet, le fait que certains Etats membres ne se considèrent pas – ou plus – comme membres d’IMG n’a pas pour conséquence de priver cette dernière de la qualité d’organisation internationale, et cela d’autant moins que les Etats concernés ne constituent qu’une partie largement minoritaire de l’entité en cause. Les doutes relatifs aux pouvoirs des représentants de certains Etats lors de la signature de l’acte constitutif d’IMG pourraient éventuellement affecter la validité de l’acte de signature, par ces Etats, de l’acte constitutif d’IMG, mais non la validité de la création même de cette organisation. Quant à l’argument selon lequel IMG ne constituait pas une agence spécialisée de l’ONU, il est dépourvu de pertinence puisque cette qualité n’est nullement imposée par la réglementation financière de l’UE pour qu’une entité soit qualifiée d’organisation internationale.

Partant, la Cour a accueilli les moyens soulevés par IMG ; elle a annulé les arrêts du Tribunal et les décisions litigieuses de la Commission relative au programme d’action au Myanmar et à l’interdiction de conclure de nouvelles conventions de délégation en gestion indirecte avec IMG ; elle a renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il soit statué sur la demande de réparation d’IMG relatives aux dommages causés par la décision de la Commission de ne plus conclure de conventions avec elle en raison des doutes sur sa qualité d’organisation internationale.

Deux points sont ici remarquables.

En premier lieu, la Cour sanctionne les services de la Commission pour avoir négligé de prendre en considérations les notions fondamentales du droit international. L’erreur de droit et l’erreur manifeste d’appréciation sont d’autant plus graves qu’elles résultent d’un rapport défectueux de l’OLAF dont la Commission refuse l’accès à l’intéressé et demande qu’il soit retiré du dossier juridictionnel. Il y a là des fautes graves qui entraînent la responsabilité de la Commission.

En second lieu, il y a lieu de penser que la demande en réparation d’IMG sera importante. La réclamation portera sur des dommages matériels tenant à des pertes d’activités sur plusieurs années. Elle ne manquera pas d’être assortie d’une demande en indemnisation pour l’atteinte à sa réputation dont le Parlement européen s’est fait l’écho. Par ailleurs, une sentence de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye du 13 février 2019 contraint la Commission à régler les dépenses facturées par IMG dans le cadre de contrats de gestion conjointe signées avec la Commission que cette dernière refusait de payer sur la base des allégations formées contre IMG et de l’enquête de l’OLAF.

 

16 avril 2019  | Jean-Yves de Cara