L’entrée en vigueur de la loi n°2018-509 du 25 juin 2018 entérine le retour à une circonscription électorale unique et, par conséquent, l’abandon de la division du territoire français en 8 circonscriptions comme cela était le cas depuis 2003.

Cette réforme des modalités d’élection des représentants au Parlement européen poursuit quatre objectifs principaux répondant eux-mêmes à quatre constats.

D’abord, le taux d’abstention aux élections des représentants du Parlement européen est élevé : la participation était de 46.8% en 1999, de 42,8% en 2004, de 40,6% en 2009 et de 42,4% en 2014. La loi a pour objectif de faire reculer le taux d’abstention en favorisant l’intelligibilité du scrutin et la connaissance des députés européens de leurs électeurs.

Ensuite, l’existence de plusieurs circonscriptions avait pour effet de favoriser les grands partis qui, disposant de ressources plus importantes, ont la capacité de financer des campagnes dans chaque circonscription, contrairement aux partis de taille plus modeste. L’adoption d’une circonscription unique a pour but de promouvoir le pluralisme des opinions en permettant aux petits partis d’être mieux représentés et de jouir d’une plus grande visibilité.

Par ailleurs, le redécoupage des régions par la loi n°2015-29 du 16 janvier 2015 a vidé de son sens la délimitation des 8 circonscriptions, complexifiant ainsi la compréhension du scrutin.

Enfin, sur les 28 Etats membres de l’Union européenne, 23 ont mis en place un système de circonscription unique. Seuls la France, la Belgique, l’Irlande, le Royaume-Uni et l’Italie disposent de plusieurs circonscriptions. Bien que les textes européens laissent la possibilité aux Etats membres d’appliquer des dispositions nationales en matière de découpage territorial pour l’organisation des élections, la mise en place d’une circonscription unique, comme dans la majorité des Etats membres, contribue à harmoniser les modalités du scrutin en Europe et ainsi à en renforcer le caractère européen.

 

I. Précisions sur la procédure d’adoption

Durant le mois de novembre 2017, le Président de la République a reçu le Président du Sénat, le Président de l’Assemblée nationale ainsi que les responsables des partis nationaux représentés à l’Assemblée afin de les consulter sur les modalités d’organisation des élections européennes de 2019.

Une procédure accélérée a été engagée par le gouvernement pour ce projet de loi le 3 janvier 2018.

Le rapport de la commission des lois

Le rapport n°539 de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 janvier 2018, a conclu à la nécessité d’adopter le projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen.

Ce rapport rappelle notamment que la création de 8 circonscriptions lors de la réforme de 2003 n’a permis aucun ancrage territorial réel des députés européens et considère que le passage à une circonscription unique devrait permettre d’assurer le pluralisme dans la représentation.

Par ailleurs, en matière de contrôle des comptes de campagne, la commission des lois a ajouté au projet de loi un article 3bis rendant obligatoire le  dépôt auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) d’une annexe aux comptes des partis politiques retraçant les dépenses électorales engagées par ceux-ci en soutien d’une liste de candidats aux élections européennes, sur le modèle des dispositions introduites en 2016 pour l’élection présidentielle.

Les débats parlementaires

Lors des débats parlementaires qui ont eu lieu les 13 et 14 février 2018, Jacqueline Gourault, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, ainsi que les rapporteurs ont insisté sur les enjeux et les objectifs du projet de loi. Il a notamment été souligné que la seule modification du mode de scrutin ne suffirait pas à créer une mobilisation plus importante des électeurs. Plusieurs critiques et inquiétudes ont par ailleurs été formulées concernant :

  • la potentielle nationalisation des enjeux,
  • le risque d’éloignement entre les députés européens et les réalités des territoires,
  • la répartition des temps d’antenne susceptible de favoriser certains partis.

L’adoption de la loi

Le projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 20 février 2018. Il a ensuite été modifié et adopté par le Sénat le 11 avril 2018. Une commission mixte paritaire a été convoquée le 12 avril 2018 et s’est accordée sur un texte le 18 avril 2018. Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 14 mai 2018 et par le Sénat le 23 mai 2018. Toutefois, le 24 mai 2018, le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de 60 députés en application de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution concernant l’article 9 de la loi ainsi adoptée, portant sur une déclaration de principe en matière de création de listes transnationales au sein de l’Union Européen en vue de l’élection des députés européens.

 

II. Le contenu de la loi

Le retour à une circonscription unique

La circonscription unique n’est pas une nouveauté puisqu’elle avait été initialement mise en place par la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen. Ce n’est qu’à compter de la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 que le territoire français a été divisé en 8 circonscriptions.

L’article 1er de la loi prévoit donc le retour à une organisation fondée sur une circonscription unique, modifiant ainsi une nouvelle fois l’article 4 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977.

Avant de parvenir à cette solution, trois systèmes alternatifs ont été étudiés, afin de répondre aux problématiques précédemment énoncées :

  • la mise en cohérence avec la nouvelle carte des régions : créer 13 circonscriptions au lieu de 8. Une telle modification aurait néanmoins sans doute eu pour conséquence de réduire le nombre de députés par circonscription et d’affaiblir la représentativité en évinçant les courants d’idées et d’opinions minoritaires.
  • le maintien de circonscriptions réagrégées: découper le territoire selon des agrégats de régions entières. Cette option n’aurait cependant pas permis d’atteindre l’objectif de mise en cohérence du découpage, ni celui de respect de considérations d’ordre historique, politique, social ou culturel.
  • la création de 2 circonscriptions, une métropolitaine et une ultra-marine: maintenir la circonscription ultra-marine existante et agréger les autres circonscriptions. Cette alternative aurait nuit à l’objectif d’intelligibilité du scrutin, créant un décalage entre la majorité des députés élus au niveau de la métropole et le très faible nombre de députés élus pour la circonscription de l’outre-mer (3 députés). Par ailleurs, ce système aurait conduit à différencier le traitement des populations ultra-marines alors que le Conseil d’Etat avait indiqué dans une décision de 1989 (CE, 2 oct. 1889, n°108243) que les départements et territoires d’outre-mer font partie intégrante de la République française et doivent nécessairement être inclus dans la circonscription unique à l’intérieur de laquelle il est procédé à l’élection des représentants au Parlement européen.

Le retour à une circonscription unique, avec élection à scrutin de liste proportionnelle pour 74 sièges à pourvoir, impacte notamment les conditions de formation des listes électorales. L’article 6 de la loi revient aux conditions antérieures à 2003 et exige que le nombre de candidats par liste soit égal à celui des sièges à pourvoir (soit 74) et non plus égal au double du nombre de sièges attribuables en vertu de la prime majoritaire (un nombre déterminé de sièges est attribué à la liste ayant obtenu le plus de voix). Cette modification doit notamment favoriser la participation des petits groupements politiques qui éprouvaient auparavant des difficultés à fournir suffisamment de candidats pour les listes de chacune des 8 circonscriptions.

La réforme entérine ainsi le passage d’un système de scrutin proportionnel plurinominal avec prime majoritaire à un système de scrutin proportionnel plurinominal simple.

La réforme du temps d’émission lors de la campagne des élections européennes

L’article 2 de la loi prévoit qu’une durée de 2 heures d’émission de service public est répartie entre les différentes listes au prorata du nombre de députés, sénateurs et de représentants français au Parlement européen déclarant soutenir la liste (les conditions de déclaration d’un tel soutien seront précisées par décret en Conseil d’Etat).

Par ailleurs, la loi exige qu’une durée d’émission d’1h30 soit répartie par le CSA entre toutes les listes régulièrement enregistrées en fonction des résultats obtenus aux précédentes élections, de leur contribution au débat politique et de leur représentativité dans le paysage politique et dans la vie démocratique de la nation.

Enfin, toutes les listes régulièrement enregistrées disposent a minima de 3 mn d’antenne, qu’elles soient ou non soutenues par des partis et groupements représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Les dispositions de cet article tiennent compte de la décision n°2017-651 du 31 mai 2017 du Conseil constitutionnel, répondant à une question prioritaire de constitutionnalité relative aux élections législatives, ayant déclaré contraire à la Constitution les dispositions du code électoral conduisant à octroyer aux partis et groupements non présents à l’Assemblée nationale un temps d’antenne manifestement hors de proportion avec leur représentativité et leur participation à la vie démocratique.

L’article 2 prévoit que les dépenses liées à la campagne audiovisuelle officielle sont à la charge de l’Etat.

L’adaptation du plafond de remboursement des frais de campagne électorale

L’article 4 de loi prévoit que le plafond de remboursement des frais de campagne électorale culminera à 9 200 000 € pour chaque liste de candidats régulièrement enregistrée. Cette somme correspond au plafond antérieurement prévu pour chaque liste dans chaque circonscription multiplié par 8.

Le décret n°2009-370 du 1er avril 2009 prévoyait une majoration de 10% du plafond des dépenses électorales. L’étude d’impact du projet de loi, en date du 2 janvier 2018, réalisé par l’Assemblée nationale indique notamment que cette majoration est abrogée par la fixation du présent plafond qui n’en tient pas compte et que la possibilité d’une majoration future est désormais réduite en vertu des dispositions de la loi n°2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012. Cette disposition traduit une volonté de maitrise des dépenses publiques et d’exemplarité de la vie politique.

Ce plafond peut être augmenté dans la limite de 2% pour les frais de transport aérien, fluvial et maritime dûment justifiés et dans certaines conditions pour les collectivités relevant des articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie.

Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 52-11 du code électoral, le remboursement forfaitaire est accordé aux listes de candidats ayant obtenu 3 % et plus des suffrages exprimés et non pas 5% comme pour les autres scrutins.

Les obligations déclaratives en matière de conflits d’intérêts

Les obligations déclaratives des représentants du Parlement européen fixées par l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique sont alignées sur celles qui incombent aux députés et sénateurs français.

La loi complète ainsi la liste des déclarations obligatoires. Celles-ci doivent désormais porter sur les participations directes ou indirectes qui confèrent aux parlementaires européens le contrôle d’une société, d’une entreprise ou d’un organisme ayant pour activité principale la fourniture de prestations de service.

 

III. L’inconstitutionnalité de la disposition relative aux listes transnationales

Le projet de loi prévoyait en son article 7 l’entrée en vigueur de la loi sans préjudice de l’application d’éventuelles dispositions prises par l’Union européenne concernant la création de listes transnationales en vue de l’élection des représentants au Parlement européen.

En effet, la création de telles listes avait été proposée en 2015 par la révision de l’Acte unique européen et aurait conduit à la création d’une circonscription européenne permettant d’élire certains députés sur la base de listes transnationales.

A l’occasion d’un vote intervenu le 7 février 2018, le Parlement européen n’a cependant pas retenu le principe de ces listes pour les prochaines élections européennes de 2019. En raison de sa portée symbolique et politique, l’article 7 du projet de la présente loi avait été conservé lors de son examen devant l’Assemblée nationale.

Supprimée par le Sénat, qui refusait d’inscrire dans la loi une disposition sans portée normative, elle avait été rétablie par la commission mixte paritaire.

Saisi par plus de 60 députés, le Conseil constitutionnel a donné raison au Sénat dans une décision n°2018-766 en date du 21 juin 2018. Il a estimé qu’une telle disposition avait pour effet de nuire à l’intelligibilité du reste du premier alinéa de l’article et qu’elle était dépourvue de portée normative. Partant, il l’a déclarée contraire à la Constitution.

 

IV. L’impact de la loi sur les élections législatives

Compte tenu de la récente décision du Conseil constitutionnel du 31 mai 2017, déclarant contraire à la Constitution les dispositions du code électoral conduisant à octroyer aux partis et groupements qui ne sont pas présents à l’Assemblée nationale un temps d’antenne manifestement hors de proportion avec leur représentativité et leur participation à la vie démocratique, la loi modifie l’article 167-1 du code électoral.

Les dispositions relatives au temps d’antenne audiovisuelle lors des élections législatives sont ainsi modifiées de manière à imposer les mêmes exigences qu’en matière d’élections européennes.

 

2 juillet 2018  | Julia Estrade | Publié aux Editions législatives