Le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) – appelé également référendum d’initiative populaire – est une procédure décisionnelle dont l’initiative revient exclusivement aux citoyens et qui leur permet d’imposer un référendum en vue d’une prise de décision. Le RIC peut avoir divers objets : il est constitutionnel lorsqu’il porte sur une révision de la constitution ; législatif lorsqu’il vise à adopter ou modifier une loi ; abrogatoire lorsqu’il poursuit la suppression d’une règle de droit et, enfin, révocatoire lorsqu’il tend à mettre fin au mandat d’un élu.

Lors de son allocution du 25 avril 2019, prononcée au cœur de la crise dite des « Gilets Jaunes », en « réponse aux préoccupations soulevées dans le cadre du grand débat », le Président de la République a brisé l’espoir nourri par certains citoyens d’obtenir l’instauration d’un RIC plein et entier en France. Le Président a, pour repousser cette idée, estimé que, « tel qu’il est proposé, [le RIC] semble remettre en cause la démocratie représentative ».

Si l’actuel mouvement des Gilets Jaunes est protéiforme et porte des revendications très diverses, l’aspiration à des formes plus directes d’expression démocratique – notamment au moyen du RIC – a régulièrement émergé des débats pour s’imposer comme l’un des principaux enjeux. Cette demande traduit un désir fort des citoyens d’exercer leur souveraineté et, ce faisant, de se réapproprier la République au sens étymologique du terme, c’est à dire la chose publique.

Ce vœu démocratique légitime se heurte toutefois à des réserves qui ne le sont pas moins. Toute la difficulté du dispositif du référendum réside dans la nécessité d’atteindre un équilibre nécessaire entre, d’une part, une démocratie directe matériellement impossible à mettre pleinement en œuvre dans un pays de 67 millions d’habitants et, d’autre part, une démocratie représentative pouvant susciter une certaine défiance de la part des citoyens. Cette recherche d’équilibre est brillamment synthétisée à l’article 3 alinéa 1 de la Constitution de 1958 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le Constituant s’est efforcé de réconcilier près de deux siècles d’histoire constitutionnelle, en articulant les concepts de « souveraineté nationale », exercée par des représentants élus, et de « souveraineté populaire », qui a vocation à être exercée directement par le peuple.

C’est à l’aune de cet équilibre que doit être étudiée la question du RIC. Avant d’examiner ce mécanisme inédit en France, il convient, pour le mettre en perspective, de procéder préalablement à un bref tour d’horizon – sélectif – de l’usage référendum en France et du RIC dans le monde.

Tour d’horizon des modes d’exercice de la démocratie directe

1. Le référendum en France : un mécanisme rarement mis en œuvre et peu satisfaisant au regard de la place laissée à l’initiative citoyenne

La Constitution de 1958 prévoit expressément la possibilité pour les citoyens de s’exprimer par la voie du référendum. Le peuple n’a toutefois qu’un poids résiduel dans la mise en œuvre de cet outil. Examinons les principaux mécanismes existants.

  • Le référendum constitutionnel de l’article 89 de la Constitution

L’article 89 de la Constitution prévoit qu’une révision constitutionnelle ne devient définitive qu’après un vote des deux assemblées parlementaires et lorsqu’elle est approuvée par référendum. Toutefois, ce même article ajoute immédiatement que le Président de la République peut en décider autrement et soumettre la révision constitutionnelle à l’approbation du Parlement convoqué en Congrès, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Les Présidents successifs de la Vème République se sont montrés pour le moins méfiants à l’égard du référendum et se sont engouffrés dans l’alternative offerte par l’article 89. Ainsi, alors que la Constitution a fait l’objet de vingt-quatre révisions depuis 1958, seule la réforme constitutionnelle du 2 octobre 2000 relative au quinquennat a été approuvée par la voie du référendum de l’article 89 de la Constitution.

Le constat est clair : l’effectivité et l’intérêt concret du référendum constitutionnel sont réduits et ce mécanisme ne participe guère à la mise en œuvre d’une démocratie semi-directe.

  • Le référendum législatif de l’article 11 de la Constitution

Un mécanisme peu usité par les pouvoirs publics

L’article 11 de la Constitution prévoit la possibilité pour le Gouvernement ou pour les deux assemblées conjointement, de proposer au Président de la République de soumettre à référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. »

Toutefois, ici encore, tant le pouvoir exécutif que le pouvoir législatif ne dissimulent pas leur réticence à permettre l’expression directe de la souveraineté. Seuls huit référendums ont été organisés sur le fondement de l’article 11 sous la Vème République. Deux évènements majeurs permettent d’expliquer, au moins en partie, la désaffection du pouvoir à l’égard du référendum de l’article 11.

En premier lieu, l’usage de l’article 11 par le Général de Gaulle en a rapidement altéré le sens. En effet, celui-ci a convoqué les électeurs le 28 octobre 1962 sur le fondement de cette disposition afin de réviser la Constitution – il s’agissait d’introduire l’élection du Président de la République au suffrage universel direct – au lieu d’appliquer l’article 89. Ce procédé très discutable visait à contourner le Parlement. Sept ans plus tard, le Général de Gaulle appelait à nouveau les électeurs, sur le fondement de l’article 11, à se prononcer le 29 avril 1969 sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Le référendum était cette fois utilisé à des fins de plébiscite : en votant, les électeurs étaient en réalité invités à décider si le Général de Gaulle devait ou non démissionner.

En second lieu, le dernier référendum en date, relatif au projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, organisé le 29 mai 2005, a conforté les pouvoirs publics dans leur défiance à l’égard du référendum. Le « non » l’avait alors emporté avec 54,67% des suffrages exprimés, au terme d’une campagne absorbée en partie par des questions de politique intérieure, étrangères à la construction européenne. Il était alors patent que le « non » exprimé ne se contentait pas de répondre la question posée mais qu’il comportait également une part de désaveu de l’action gouvernementale. Depuis ce référendum, les gouvernements successifs ont soigneusement évité de réitérer l’expérience, même lorsqu’il existait une forte pression sociétale pour l’organisation d’un référendum, comme ce fut le cas par exemple lors des manifestations relatives au mariage pour tous en 2012 et 2013.

Les pouvoirs publics sous la Vème République se sont néanmoins efforcés, au moins en apparence, de répondre aux aspirations de démocratie semi-directe exprimées dans l’opinion publique.

L’implication résiduelle du citoyen : le référendum d’initiative partagée

La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a entendu attribuer au citoyen un rôle dans l’organisation du référendum de l’article 11, en ajoutant un alinéa selon lequel « un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. »

Cependant, les conditions de mise en œuvre de cette procédure sont telles que le rôle du citoyen demeure en pratique très résiduel. D’abord, les citoyens n’interviennent que comme soutiens et non comme instigateurs du référendum. En outre, les conditions de seuil requises – 185 députés ou sénateurs et 4,5 millions d’électeurs – constituent des obstacles difficilement surmontables.

Cette modification constitutionnelle de 2008 n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 2015. Restée en sommeil jusqu’alors, elle pourrait être mise en œuvre prochainement pour la première fois. Le 9 avril 2019, 218 parlementaires ont signé une proposition de loi référendaire contre la privatisation d’Aéroports de Paris. Elle devra toutefois obtenir le soutien d’un dixième des électeurs pour pouvoir être mise en œuvre et aboutir à l’organisation d’un référendum.

  • Le référendum local et la consultation environnementale

Signalons qu’à l’échelon local, la Constitution prévoit également un mécanisme de démocratie semi-directe. L’article 72-1 dispose que « les projets de délibération ou d’acte relevant de la compétence d’une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité. »

Par ailleurs, l’article L. 123-20 du code de l’environnement permet à l’Etat, depuis 2016, de « consulter les électeurs d’une aire territoriale déterminée afin de recueillir leur avis sur un projet d’infrastructure ou d’équipement susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement dont la réalisation est subordonnée à la délivrance d’une autorisation relevant de sa compétence, y compris après une déclaration d’utilité publique ». Ce dispositif, utilisé dans le dossier l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ne constitue toutefois qu’une nouvelle modalité de participation du public dépourvue de portée juridique contraignante.

Il ressort de ce qui précède que, quels que soient les dispositifs considérés, le droit français ne concède qu’une place très marginale et peu effective à l’initiative citoyenne. Pourtant, les exemples de RIC ne manquent pas à l’étranger.

2. Le RIC dans le monde : une grande diversité d’usage

Trente-six Etats disposent de mécanismes de RIC, sous des formes et pour des objets divers. En pratique, ces dispositifs ne sont mis en œuvre que dans dix-huit pays à ce jour. Quelques exemples emblématiques méritent d’être mentionnés.

  • En Suisse : le référendum constitutionnel et le référendum abrogatoire

La Suisse est fréquemment mentionnée comme exemple de démocratie semi-directe. Signalons notamment qu’outre le recours fréquent au référendum local, les citoyens jouissent d’un droit d’initiative populaire fédérale, permettant à des comités de citoyens récoltant 100 000 signatures dans un délai de dix-huit mois, de proposer une modification totale ou partielle de la Constitution fédérale. En outre, tout citoyen suisse peut prendre l’initiative d’un référendum tendant à l’abrogation d’une loi fédérale, s’il parvient à recueillir 50 000 signatures dans un délai de cent jours.

Ces initiatives sont toutefois fréquemment portées, en pratique, par des corps intermédiaires, telles que des structures syndicales et professionnelles, disposant de l’organisation et des moyens logistiques nécessaires à la satisfaction des conditions de mise en œuvre du droit d’initiative.

  • En Californie : le référendum législatif

Le RIC n’existe pas au niveau fédéral aux Etats-Unis. Toutefois, vingt-quatre Etats fédérés disposent de tels instruments. La Californie en fait l’usage le plus dynamique : 354 initiatives citoyennes ont abouti à des référendums depuis 1912, sur des sujets aussi variés que l’abolition de la peine capitale ou la légalisation du cannabis. De la même façon qu’en Suisse, la mise en œuvre effective de ce RIC implique souvent, en pratique, l’intervention de groupes de défense d’intérêts.

  • Au Venezuela : le référendum révocatoire

Les conditions sont rigoureuses : le référendum révocatoire doit être sollicité par 20% des électeurs inscrits et, s’agissant de la révocation du Président de la République, le scrutin ne peut se tenir qu’au cours de la quatrième année de son mandat. En outre, au moins 25% des électeurs doivent participer au référendum et le nombre de voix en faveur d’une révocation doit être supérieur ou égal au nombre d’inscrits qui ont élu l’autorité en question.

Le RIC existe donc sous diverses formes dans le monde – constitutionnel, législatif, abrogatoire, révocatoire – mais il demeure strictement encadré.

 

Le référendum d’initiative citoyenne en France : la quête d’un équilibre

1. Les aspirations au RIC à l’épreuve de sa traduction juridique

Les propositions qui ont émergé du mouvement des Gilets Jaunes reflètent invariablement un souhait commun d’obtenir une levée des verrous entravant la mise en œuvre d’une forme de démocratie directe. Elles sont en revanche disparates quant aux modalités d’application de cet instrument, qui soulèvent pourtant des questions fondamentales.

En premier lieu, l’instauration du RIC pose la question du seuil du nombre de signatures requises pour sa mise en œuvre. Un seuil trop élevé ruinerait l’effectivité du mécanisme ; un seuil trop bas en rendrait le recours systématique et risquerait à ce titre de porter atteinte à une élémentaire sécurité juridique.

En deuxième lieu, la question du périmètre du RIC est tout aussi épineuse : elle nécessite de déterminer si le citoyen est en mesure de se prononcer sur n’importe quel thème ou si, au contraire, certains sujets échappent à sa compétence.

Le choix d’une démocratie représentative en France ne s’est pas imposé fortuitement. Ainsi que le déclarait l’abbé Sieyès – co-rédacteur de la première Constitution française – le 7 septembre 1789, « [l]a France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. ». Tout citoyen peut bien entendu se prononcer aisément sur des questions sociétales générales. En revanche, l’appréhension d’autres sujets, plus techniques, nécessitent d’y consacrer davantage de temps d’examen et d’analyse. Or, il n’est guère discutable que peu de citoyens jouissent de la faculté de consacrer leur temps à l’examen de problématiques nombreuses, complexes et variées. Tel est précisément le rôle des représentants élus.

Par conséquent, la définition d’un champ illimité du RIC risquerait de placer une grande partie des citoyens dans une situation difficile : ils seraient amenés à se prononcer sur une grande variété de questions – tels que par exemple des arbitrages budgétaires stratégiques – sans nécessairement avoir pu se consacrer pleinement à l’étude des implications de leurs choix.

Le référendum relatif à l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne constitue à cet égard un exemple éclairant de la difficulté évoquée. Le 23 juin 2016, les britanniques n’ont été invités qu’à se prononcer sur une question simple en apparence : « le Royaume-Uni doit-il rester un membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? ». Or, le choix dichotomique offert – « remain » ou « leave » – occultait une question plus essentielle encore, à savoir les modalités et les conditions d’une éventuelle sortie du marché commun. Depuis la victoire du « leave », cette question demeure dans les mains des représentants élus des britanniques et n’a pas pu être tranchée à ce jour.

En troisième lieu, le RIC soulève la question du rôle du Parlement. Son implication heurte immédiatement la notion de démocratie directe. Pourtant, il ne paraîtrait guère souhaitable de se dispenser totalement d’une telle intervention. L’adoption de la Loi ne se résume pas à l’expression d’une préférence binaire entre deux options. La lecture des débats parlementaires montre que la Loi est le fruit de rapports approfondis, de discussions parfois âpres, d’arbitrages délicats, de technique légistique et de remontées d’expériences de terrains par les représentants élus. Ce travail parlementaire de gestation de la Loi est fondamental et tend à son amélioration. S’il est donc relativement aisé de proposer des idées de réforme, il est bien plus ardu d’en assurer une traduction juridique qui en garantisse l’effectivité.

2. Le choix du gouvernement : le rejet du RIC au profit d’une réforme du référendum d’initiative partagée

Lors de son allocution du 25 avril 2019, le Président de la République a écarté l’instauration du RIC. Il n’a pas pour autant ignoré la volonté amplement exprimée d’une implication plus effective et plus directe du citoyen dans le processus démocratique.

Il a d’abord manifesté son souhait d’accorder « plus de place à la voie référendaire » et a proposé, dans le cadre d’une réforme constitutionnelle, une refonte du référendum d’initiative partagée prévu à l’article 11 de la Constitution. L’initiative de ce référendum réformé serait transférée du Parlement vers le citoyen. Le seuil de signature pour mettre en mouvement cette procédure serait en outre abaissé à un million de signature – contre un dixième du corps électoral actuellement, soit plus de 4,5 millions d’électeurs inscrits.

Le Parlement serait alors tenu, comme c’est déjà le cas, de discuter de la proposition de loi. A défaut, elle serait soumise à référendum.

Par ailleurs, le Président de la République a également indiqué, sans davantage de précision, qu’il entendait renforcer le droit de pétition prévu à l’article 72-1 alinéa 1er de la Constitution, selon lequel un électeur peut « demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité d’une question relevant de sa compétence ». L’effectivité de ce dispositif serait améliorée si l’autorité compétente perdait la faculté, dont elle bénéficie actuellement, de refuser une telle inscription.

Ces propositions du Président de la République s’inscrivent manifestement dans une recherche d’équilibre, que reflète l’article 3 de la Constitution, entre « souveraineté nationale » et « souveraineté populaire ». En revanche, elles ne répondent pas pleinement aux revendications largement exprimées par le mouvement des Gilets Jaunes. Leur adoption prochaine constituerait néanmoins une avancée notable : l’accès au référendum ne serait plus jalousement monopolisé par les représentants élus de la Nation et reviendrait également au peuple. Ces annonces semblent à cet égard confirmer la formule de Victor Hugo : « C’est la marche immémoriale. Le roi ne lâche que quand le peuple arrache »[1].

[1] Notre-Dame de Paris.1482. Livre troisième, chapitre II

9 mai 2019  | Matthieu Ragot | Publié aux Editions Législatives