Le projet de loi relative à l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi « ELAN »), dont l’adoption définitive devrait intervenir au mois de septembre 2018, prévoit un certain nombre de mesures destinées à dynamiser la construction immobilière sur le territoire français. Parmi ces mesures, le projet de loi envisage notamment de simplifier le contentieux de l’urbanisme.

Parallèlement et animé par ce même objectif, le Premier Ministre a pris cet été un décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme. Ce texte vise essentiellement à encadrer plus étroitement les recours dirigés contre des décisions d’urbanisme afin de limiter les entraves que ceux-ci engendrent pour la construction immobilière. En effet, lorsqu’une décision d’urbanisme – par exemple un permis de construire – fait l’objet d’un recours, son bénéficiaire subit une situation d’insécurité juridique résultant de l’aléa inhérent à tout contentieux. Cette insécurité est susceptible de ralentir ou de faire échec à la mise en œuvre du projet immobilier et notamment à son financement.

Le décret du 17 juillet 2018 s’efforce d’endiguer cette insécurité en maîtrisant le contentieux au moyen des mesures suivantes.

 

Encadrement du délai de certaines procédures (article R.600-6 du code de l’urbanisme)

Le décret impose au juge administratif de statuer dans un délai de dix mois lorsqu’il est saisi d’un recours dirigé contre un permis de construire un bâtiment comportement plus de deux logements, ou contre un permis d’aménager un lotissement. La Cour administrative d’appel doit statuer dans le même délai.

Relevons toutefois que le décret ne précise pas quelles pourraient être les conséquences d’un dépassement de ce délai. Il conviendra donc d’examiner si, en pratique, sa portée ne sera pas davantage indicative qu’impérative.

Cette mesure s’applique aux requêtes enregistrées à compter du 1er octobre 2018.

 

Renforcement du mécanisme dit de « cristallisation des moyens » (article R.600-5 du code de l’urbanisme)

Le décret renforce le mécanisme de cristallisation des moyens pour les requêtes introduites à compter du 1er octobre 2018.

En pratique, un requérant qui conteste une décision d’occupation ou d’utilisation du sol ne pourra plus invoquer de nouveaux moyens – c’est-à-dire de nouvelles critiques contre la décision – dans un délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense.

Ce mécanisme présente deux intérêts principaux.

D’une part, il permet de neutraliser toute tentative de stratégie dilatoire qui consisterait pour un requérant à introduire de nouvelles critiques tout au long de la procédure, afin de contraindre le bénéficiaire de la décision à produire de nouvelles écritures en défense et à prolonger ainsi le contentieux.

D’autre part, cette cristallisation des moyens renforce l’effectivité de la possibilité offerte par l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme de régulariser en cours de procédure, au moyen d’un permis modificatif, une décision d’occupation ou d’utilisation du sol entachée d’une irrégularité.

 

Prolongement de la suppression du degré d’appel pour certains contentieux en urbanisme (article R.811-1-1 du code de justice administrative)

Depuis le 1er octobre 2013, la voie de l’appel est fermée aux requérants qui contestent des permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation, ou encore des permis d’aménager un lotissement. Cette mesure devait initialement prendre fin le 1er décembre 2018. Le décret en prolonge l’effet jusqu’au 31 décembre 2022.

Le prolongement de la suppression du degré d’appel complète l’arsenal des mesures tendant à réduire les délais contentieux et, ainsi, à limiter l’insécurité juridique subie par le bénéficiaire d’une décision d’urbanisme.

Précisons toutefois que cette mesure n’est applicable que dans certaines communes visées par l’article 232 du code général des impôts et expressément mentionnées dans le décret n°2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts.

 

Réduction du délai de contestation d’une décision d’occupation des sols (article R.600-3 du code de l’urbanisme)

Le décret réduit de un an à six mois le délai à l’expiration duquel il n’est plus possible de demander l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, ou une décision de non-opposition à déclaration préalable, lorsque la construction ou l’aménagement sont achevés.

Cette réduction renforce encore la sécurité juridique d’une opération de construction ou d’aménagement. Elle sera applicable aux contestations de décisions intervenues après le 1er octobre 2018.

 

Présomption de désistement du requérant en matière de référé suspension (article R.612-5-2 du code de justice administrative)

Les auteurs d’un recours tendant à l’annulation d’une décision d’urbanisme – par exemple, un permis de construire – peuvent accompagner leur contestation au fond d’une demande parallèle en référé afin d’obtenir la suspension des effets de la décision en cause. Il leur faut alors démontrer que les conditions du référé sont satisfaites, d’une part en caractérisant une situation d’urgence et d’autre part en invoquant des moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Le décret prévoit, pour les requêtes enregistrées à compter du 1er octobre 2018, que lorsqu’un référé aura été rejeté pour défaut de moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, le requérant sera réputé se désister de son recours au fond s’il ne confirme pas dans un délai d’un mois le maintien de sa requête ou, alternativement, s’il n’exerce pas de pourvoi en cassation contre l’ordonnance de rejet.

Cette mesure, qui n’est d’ailleurs pas spécifique au contentieux de l’urbanisme – elle est applicable à tous les demandes de suspension en référé – vise ainsi à dissuader l’auteur d’un référé infructueux de poursuivre sa démarche contentieuse et, par suite, tend à mettre fin à une situation d’insécurité juridique.

 

Restriction des conditions de recevabilité des recours contentieux (article R.600-4 du code de l’urbanisme)

Afin d’éviter les recours abusifs, le décret exige des tiers qu’ils produisent, au soutien de leurs requêtes dirigées contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation intervenues après le 1er octobre 2018, une preuve supplémentaire de leur intérêt à agir.

Ils devront désormais démontrer, au moyen de documents listés par le décret, qu’ils occupent ou détiennent régulièrement le bien qui se trouve dans le voisinage immédiat du projet immobilier autorisé et qui leur confère un intérêt à agir au sens de l’article L.600-1-2 du code de l’urbanisme.

Lorsque l’auteur du recours est une association, celle-ci devra à peine d’irrecevabilité y joindre une copie de ses statuts ainsi que du récépissé attestant de sa déclaration en préfecture.

10 août 2018  | Matthieu Ragot