Par un arrêt d’Assemblée Plénière du 13 janvier 2020, la Cour de cassation met fin aux dernières incertitudes concernant la possibilité, pour un tiers, d’invoquer une violation contractuelle au soutien d’une demande fondée sur la responsabilité délictuelle

Jusqu’en 2006, la jurisprudence était divisée. Un courant exigeait que soit relevée par les juges du fond une faute délictuelle envisagée indépendamment de tout point de vue contractuel. Mais un autre courant jurisprudentiel admettait que toute faute contractuelle constituait en même temps une faute délictuelle envers les tiers. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a alors tranché cette question une première fois le 6 octobre 2006, dans l’arrêt Boot’shop, pour l’identité des fautes contractuelle et délictuelle (Cass. ass. plén. 6 oct. 2006 n°05-13.255). La Cour de cassation autorisait les tiers à invoquer, comme peuvent le faire les parties, n’importe quel manquement contractuel, se refusant à distinguer entre les tiers. Cette solution s’appliquait sous réserve bien entendu d’établir la causalité directe entre le manquement et le dommage allégués.

Toutefois, certaines chambres de la Cour de cassation ont adopté des solutions plus incertaines, voire contradictoires selon une partie de la doctrine. Par exemple en 2017, la chambre commerciale a considéré que l’identité des fautes contractuelle et délictuelle n’allait pas de soi dans une affaire où le tiers n’avait pas établi ni même allégué que le manquement contractuel constituait une faute quasi-délictuelle à son égard (Cass. com. 18 janv. 2017, n°14-16.442). La troisième chambre civile a jugé quant à elle que « des motifs tirés du seul manquement à une obligation contractuelle de résultat de livrer un ouvrage conforme et exempt de vices, sont impropres à caractériser une faute délictuelle »  dont les tiers pourraient se prévaloir (Cass. 3e civ. 18 mai 2017, n°16-11.203).

Il appartenait à la Cour de cassation de lever les incertitudes. C’est chose faite ! Réunie à nouveau en assemblée plénière le 13 janvier 2020, la Cour de cassation a réaffirmé le principe selon lequel « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. ass. plén. 13 janv. 2020, n°17-19.963). La Cour de cassation reprend l’attendu de principe du précédent arrêt d’assemblée plénière. Mais à la faveur de la nouvelle rédaction des arrêts de la Cour, ce principe est encore plus clair puisqu’elle vise précisément les incertitudes résultant de l’interprétation de certaines décisions. Et elle ajoute plusieurs considérants qui ne laissent pas de place au doute quant à la solution, notamment que « Dès lors, le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement ».

On saluera cette nouvelle rédaction des arrêts et l’on retiendra que l’appréciation des juges portera toujours sur la faute et le dommage, avec une place centrale pour la démonstration du lien de causalité. La trilogie bien connue du droit de la responsabilité est donc respectée.

 

14 janvier 2020  | Maxime de Guillenchmidt et Camila Amaral