Le 28 août 2019, Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, et M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, ont présenté au Conseil des ministres un projet de réforme « pour un renouveau démocratique ». Cette réforme s’appuie sur trois instruments législatifs : un projet de loi constitutionnelle, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. Les principales dispositions de cette réforme figuraient déjà dans la première version du projet présentée en mai 2018.

Force est de constater que cette réforme, attendue depuis le « grand débat national » organisé par le Président de la République en janvier 2018, peine à trouver sa place au sein d’une actualité tumultueuse et d’un agenda législatif dense. Son examen a, en effet, été interrompu en juillet 2018, en raison du contexte médiatique et politique houleux suscité par « l’affaire Benalla », qui a donné lieu à des auditions parlementaires. Les débats n’ont ensuite pas pu reprendre début 2019 en raison du caractère impopulaire des mesures auprès du Sénat, fortement impacté par la réforme. L’examen des projets présentés à l’occasion de la rentrée 2019, est désormais conditionné à l’accord préalable du Parlement, lequel demeure à ce jour incertain malgré la refonte du projet par le Gouvernement.

Le projet présenté en août 2019, bien que moins ambitieux que celui proposé en 2018, reprend les principales dispositions envisagées initialement, tout en apportant des modifications substantielles dans un souci de mettre en œuvre une réforme apaisée. Parmi les évolutions notables, le Gouvernement a supprimé le volet consacré à la réforme de la procédure parlementaire, lequel comportait des dispositions visant à accélérer et améliorer l’efficacité du processus de création de la loi. La version présentée en 2018 prévoyait notamment de renforcer les conditions de recevabilité des propositions de lois et amendements, d’encadrer le dépôt d’amendements par les parlementaires, de modifier la navette entre les deux chambres et d’élargir les possibilités du Gouvernement d’inscrire des projets à l’ordre du jour des assemblées.

Seule la mise en œuvre de ce nouveau projet permettra d’évaluer si la réforme, en l’état, permet de répondre aux aspirations des citoyens français.

La réduction du nombre de parlementaires

La réduction du nombre de parlementaires envisagée par le projet de réforme est motivée par une volonté affichée d’améliorer la qualité du travail législatif et de renforcer la plénitude des fonctions du Parlement. Pour que ce but soit atteint, il faudrait cependant renforcer les moyens mis à la disposition des parlementaires pour contrebalancer la répartition d’une même charge de travail entre moins d’élus, et pour éviter un phénomène d’éloignement des citoyens de leurs représentants, lesquels seraient élus dans des circonscriptions élargies. Il conviendrait par exemple de s’interroger sur le nombre d’assistants mis à disposition des parlementaires afin de relayer les préoccupations des citoyens de leurs circonscriptions.

Une mesure conçue pour améliorer la qualité du travail parlementaire

La réforme propose une réduction de 25% des effectifs parlementaires : de 577 à 433 députés pour l’Assemblée nationale et de 348 à 261 sénateurs pour le Sénat. A noter que le rapport entre le nombre de députés et de sénateurs reste inchangé. Ce bouleversement, prévu par le projet de loi constitutionnelle, nécessite de nombreux ajustements, lesquels sont détaillés dans le projet de loi organique et dans le projet de loi ordinaire.

La réduction du nombre de sièges devrait entrer en vigueur à l’occasion des prochaines élections législatives de juin 2022. Si la nécessité d’un renouvellement intégral ne soulève pas de difficulté particulière pour l’Assemblée nationale, elle sera plus problématique pour l’élection des sénateurs, dont le renouvellement intervient actuellement par moitié tous les trois ans. A titre exceptionnel, la loi organique prévoit en son article 15 qu’un renouvellement intégral du Sénat aura lieu, non pas en septembre 2020, mais en septembre 2021 afin d’éviter une transition progressive et complexe. Un tel calendrier aura pour conséquence de réduire, mais également d’allonger les mandats des sénateurs actuellement en poste – la durée d’un mandat étant normalement fixée à 6 ans – selon qu’ils auront été élus en 2014 ou 2017.

Or, le Sénat s’oppose vivement à cette disposition qui portera nécessairement atteinte au suffrage exprimé du fait de la réduction de la durée du mandat de certains députés et au mode actuel de renouvellement de l’institution. L’obstacle n’est toutefois que de nature politique dès lors que, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans son avis du 20 juin 2019 sur le projet, le Conseil constitutionnel admet que les mandats puissent être prorogés ou écourtés pour des motifs d’intérêt général (Décision n°79-104, 23 mai 1979).

L’introduction d’un scrutin proportionnel de liste pour l’élection des députés

Une autre mesure importante visant à améliorer la représentativité, cette fois au sein de l’Assemblée nationale, consiste à élire 20% des députés à partir de listes nationales, soit 87 sièges, répartis selon la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne (article 1er de la loi ordinaire). La totalité des députés représentant les Français établis hors de France sera également désormais uniquement élue au scrutin de liste à représentation proportionnelle dans une circonscription dédiée (article 4 de la loi ordinaire).

Reste que seuls pourront être élus les candidats des listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés. Cette limite – il est vrai applicable aux autres scrutins de liste et guidée par une recherche d’équilibre – ne semble pas particulièrement favorable à l’expression de courants minoritaires.

Le scrutin proportionnel pour les listes nationales, ainsi que le scrutin uninominal majoritaire pour les députés de circonscription auront lieu le même jour, les électeurs disposant de deux types de bulletins distincts. Par ailleurs, aucun candidat ne pourra présenter sa candidature au titre de ces deux types de scrutins au cours d’une même élection.

Il est également intéressant de noter que cette réforme aura pour conséquence de créer deux catégories différentes de députés : les uns bénéficiant d’une légitimité locale conférée par les électeurs de leurs circonscriptions ; les autres élus en vertu de leur position sur une liste. Pour le Conseil d’Etat, ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle, notamment constitutionnel (CE, avis, 20 juin 2019, n° 397909).

Enfin, le projet de loi ordinaire modifie le code électoral afin de mettre en œuvre les dispositions d’adaptation nécessaires, notamment en matière de déclaration de candidature, de proclamation des résultats, d’aides publique aux partis et groupements politiques, de dépenses et de propagande électorales (articles 2, 3 et 4). Ces modifications d’ajustement devront être suivies de près en ce qu’elles pourraient avoir des conséquences importantes sur le processus électoral.

L’enjeu de la redéfinition des circonscriptions électorales

Le Conseil constitutionnel, à l’occasion de refontes antérieures, s’est déjà prononcé sur la nécessité de fonder le redécoupage des circonscriptions électorales sur une base essentiellement démographique, afin de garantir le principe d’égalité (Décision n°86-208 du 2 juillet 1986 et décision n°2008-573 du 8 janvier 2009). Dans cette réforme, le Gouvernement fait le choix de maintenir un député et un sénateur pour chaque département. Cette approche, critiquée par certains commentateurs, ne permettra pas une représentation des territoires proportionnelle à la densité de leur population. En revanche, elle autorisera chaque territoire à conserver voix au chapitre dans le processus législatif. Ce choix parait cohérent avec la volonté du Gouvernement de poursuivre la décentralisation et de ne pas abandonner les territoires les moins peuplés.

Le projet de loi ordinaire prévoit que le redécoupage des circonscriptions législatives et le nombre de députés par département devra être établi par ordonnance dans un délai de 18 mois à compter de sa publication. Il fixe également des limites aux écarts de population entre les circonscriptions et impose le respect de l’intégrité des cantons et communes (article 6).

Compte tenu du caractère sensible de cette question, l’article 25 de la Constitution exige que toute proposition de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés fasse l’objet d’un avis rendu par une commission indépendante, ce qui entraînera nécessairement un allongement du processus d’adoption du projet de réforme.

La limitation du cumul des mandats dans le temps et l’augmentation des cas d’inéligibilité

Afin de favoriser le renouvellement des parlementaires et de freiner la professionnalisation des fonctions électives, la réforme entend limiter le cumul des mandats dans le temps. Cette limitation vient parachever les interdictions en matière de cumul initiées depuis les années 80 et fortement renforcées par la loi organique n°2014-126 du 14 février 2014, laquelle interdit aux députés et sénateurs d’exercer des fonctions exécutives locales.

Les projets de lois organique et ordinaire prévoient désormais que les parlementaires, ainsi que les détenteurs de certaines fonctions exécutives locales – limitativement énumérées à l’article 5 de la loi ordinaire –, ne pourront plus se présenter à de mêmes élections au-delà de trois mandats consécutifs. Pour tenir compte des contraintes démographiques de certains territoires, les communes de moins de 9000 habitants et les établissements à fiscalité propre de moins de 25000 habitants ne sont pas concernés.

Ces mesures, destinées à éviter une professionnalisation excessive de la vie politique, ne semblent cependant pas particulièrement contraignantes. En effet, l’interdiction de cumul dans le temps reste relativement souple, dès lors que les candidats pourront se présenter de nouveau après avoir laissé s’écouler un mandat. Aux yeux de certains, la possibilité d’exercer 3 mandats consécutifs peut en outre déjà faire obstacle au renouvellement démocratique.

Enfin, le projet de loi organique, tenant compte de l’instauration de listes nationales, durcit et précise quant à lui les critères d’éligibilité : les préfets en poste territorial sont déclarés inéligibles au scrutin de liste (article 3) et les membres, président et vice-président du conseil métropolitain de Lyon, ainsi que le vice-président de l’assemblée de Corse, ne pourront quant à eux briguer un mandat de parlementaire (article 4).

La réforme du référendum : vers une implication accrue des citoyens ?

Les modifications prévues concernant le référendum entendent répondre directement au désir d’initiative citoyenne exprimé à l’occasion du « grand débat national ».

Le projet de loi constitutionnelle prévoit, en premier lieu, d’étendre le champ du référendum, qu’il soit législatif ou d’initiative partagée, en l’ouvrant désormais aux projets de lois relatifs à l’organisation des pouvoirs publics territoriaux et aux « questions de société », à l’exclusion des matières fiscales et pénales.

En second lieu, le Gouvernement fait le choix de ne pas donner suite aux revendications citoyennes tendant à l’instauration d’un « référendum d’initiative citoyenne » mais de simplement rénover le dispositif existant du référendum d’initiative partagée. Le déclenchement de ce dernier, désormais inclus au sein d’un nouveau titre XI de la Constitution intitulé « de la participation citoyenne », est simplifié. Les seuils de signature sont abaissés, passant d’un cinquième à un dixième des parlementaires et de 4,7 millions à un million d’électeurs. Plus important encore, le projet de réforme prévoit que l’initiative appartient désormais également aux citoyens qui devront recevoir le soutien des parlementaires.

Le projet de loi organique instaure néanmoins un encadrement strict du recours au référendum d’initiative partagée, afin d’éviter que son usage ne dérive en une « voie d’appel populaire » des délibérations des parlementaires. La proposition de texte de loi ne pourra pas, en effet, avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de 3 ans, ou avoir le même objet qu’une disposition en cours d’examen au Parlement ou adoptée par celui-ci mais non encore promulguée. A l’inverse, des mesures sont envisagées afin de protéger les dispositions prises par la voie d’un référendum d’initiative partagée : aucune disposition ayant un objet contraire à une loi adoptée par référendum sur la base d’une initiative partagée ne pourra être adoptée par le Parlement au cours de la même législature.

Enfin, un nouveau rôle est dévolu au Conseil économique, social et environnemental, lequel devient le « Conseil de la participation citoyenne ». Ce Conseil, composé de représentants de la société civile, a vocation à organiser des consultations publiques et des conventions de citoyens afin d’éclairer le gouvernement et le Parlement sur tous les sujets relevant de la prise de décision politique et législative.

Si la réforme envisagée par le Gouvernement s’éloigne du « séisme institutionnel » et du « renouveau démocratique » annoncés, elle devrait entraîner des conséquences significatives en matière électorale. Le renouvellement intégral du Sénat, les nouvelles limitations au cumul des mandats ou encore l’introduction d’une liste nationale pour les élections législatives, devraient soutenir la dynamique de refonte du paysage politique français.

2 octobre 2019  | Matthieu Ragot & Julia Estrade | Publié aux Editions Législatives