Par un arrêt du 9 novembre dernier la Cour d’appel de Paris a confirmé qu’un faux témoignage, entendu aussi comme une omission volontaire ou un mensonge devant une commission d’enquête parlementaire constitue une infraction pénale de « témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction », prévue à l’article 434-13 du code pénal et passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

Dans cette affaire M. Michel Aubier, médecin-pneumologue ancien chef de service à l’hôpital Bichat à Paris et membre de la Haute Autorité de Santé (HAS), avait été entendu le 16 avril 2015 en qualité d’expert indépendant devant une commission d’enquête du Sénat sur les coûts financiers de la pollution de l’air provoquée par le diesel. Aux interrogations qui lui avaient été adressées quant à l’existence d’une possible situation de conflit d’intérêts, il avait déclaré n’avoir aucun lien avec les acteurs « économiques » du secteur des énergies fossiles.

Il a été découvert par la suite que M. Michel Aubier aurait délibérément omis de révéler à la commission d’enquête le fait qu’il était médecin-conseil au sein du Groupe Total depuis 1997, ainsi que membre de la Fondation Total depuis 2007. En contrepartie de ces missions pour le Groupe Total il aurait perçu, rien qu’en 2004, une rémunération de 170.000 euros.

Pour avoir menti devant cette commission d’enquête du Sénat le Tribunal Correctionnel de Paris a, par un jugement du 5 juillet 2017, déclaré M. Michel Aubier coupable du délit de « témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction » (article 434-14 du code pénal) et condamné ce dernier à 6 mois de prison avec sursis et 50.000 euros d’amende. 

Rejugé en appel, la Cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de M. Michel Aubier, âgé de 70 ans et désormais retraité, pour faux témoignage mais a cependant réduit le montant de l’amende à 20.000 euros.

La réduction de la sanction prononcée a été critiquée par la partie civile, l’ONG Écologie Sans Frontières, qui comptait sur la condamnation de M. Michel Aubier pour envoyer un signal fort à la communauté d’experts scientifiques qui se prétendent indépendants de l’influence des grands groupes industriels et qui discréditent certains sujets graves d’intérêts général.

De son côté, la défense de M.Michel Aubier a déjà annoncé se pourvoir en cassation contre cette décision,dénonçant surtout le manque d’information sur les conditions et les modalités de témoignage devant le Sénat.

Cette décision, rendue dans un contexte d’agitation générale sur les questions liées à la consommation de carburants fossiles, est la première condamnation confirmée en appel en France pour le délit de témoignage mensonger fait sous serment devant une représentation nationale, alors que cette dernière n’est pas à proprement parler une« juridiction ».

On se souvient de la proposition du 5 juillet 2018 d’amendement de l’article 33-1 de la Constitution qui visait à introduire par loi organique des sanctions spécifiques pour les omissions volontaires, les mensonges, les faux témoignages devant un parlementaire ou une commission parlementaire. Cette proposition dénonçait l’inexistence en droit positif d’un régime de répression autonome de ces agissements, ainsi que le caractère peu dissuasif de l’éventuelle application dans ces hypothèses de l’infraction pénale de « faux témoignage ».

L’amendement a été rejeté et le délit de « faux témoignage »prévu à l’article 434-13 du code pénal a été retenu applicable devant les commissions d’enquêtes parlementaires assimilées à ces fins à des véritables juridictions,ce qui ne manque pas de poser par ailleurs des questions au regard du principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

Pour l’instant, l’affaire de M.Michel Aubier est le seul exemple de décision fondée sur une interprétation extensive du champ d’application du délit de « témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction »,élargi aux interventions devant les commissions parlementaires. Une illustration de cette procédure nous a été donnée récemment dans le cadre d’une autre affaire très médiatisée, l’affaire Benalla. L’association Anticor aurait en effet déjà écrit aux Présidents des commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée Nationale pour que ces derniers saisissent le Parquet concernant les faux témoignages et les mensonges qu’auraient prononcés les protagonistes de cette affaire dans le cadre de leurs auditions.

12 décembre 2018  | Maxime de Guillenchmidt & Eléonora Perrotta