Par une décision n°2019-790 DC du 1er août 2019, le Conseil constitutionnel a validé le projet de loi de réforme de la fonction publique, qui a été adopté définitivement le 23 juillet 2019 par un ultime vote du Sénat. Le Conseil avait aussitôt été saisi d’un recours déposé par au moins soixante députés le 24 juillet 2019.

Il est utile de rappeler les points essentiels de cette réforme d’envergure avant d’examiner la décision du Conseil constitutionnel.

Les grands axes de la réforme

Cette loi de transformation de la fonction publique, qui a pour but affiché de moderniser le statut de fonctionnaire, concerne les 5,5 millions d’agents des trois versants de la fonction publique (Etat, territoriale et hospitalière), et est articulée autour des cinq axes majeurs suivants :

Promouvoir un dialogue social plus stratégique et efficace, dans le respect des garanties des droits des agents

Le texte prévoit la création d’une instance unique de dialogue social, le comité social, remplaçant et fusionnant le comité technique (CT) et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Par ailleurs, les missions des commissions administratives paritaires (CAP) sont recentrées sur les situations exceptionnelles, telles que la matière disciplinaire et les recours. Ces commissions ne sont plus consultées sur les questions liées aux mutations, aux détachements et à l’avancement.

Transformer et simplifier la gestion des ressources humaines

La loi assouplit les modalités de recrutement des agents publics, en développant la possibilité de recours aux agents contractuels. Ces agents, qui n’ont pas le statut de fonctionnaires, représentent déjà environ 20 % des effectifs des trois fonctions publiques. Ils bénéficieront de meilleures conditions de travail, avec par exemple le versement d’une prime de précarité pour les contrats de moins d’un an non renouvelables.

La loi prévoit ainsi un élargissement du recours au contrat pour les emplois de direction de l’Etat et de ses établissements publics, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics ainsi que des établissements relevant de la fonction publique hospitalière.

Le texte pose également des dérogations au principe de l’occupation des emplois permanents par des fonctionnaires au sein de l’Etat, pour les emplois de niveau A,B et C, notamment lorsque l’emploi fait appel à des compétences techniques spécialisées ou nouvelles, ou lorsque la procédure de recrutement d’un agent titulaire s’est révélée infructueuse.

La loi permet aussi un élargissement du recours au contrat dans la fonction publique territoriale, ainsi qu’un assouplissement des conditions d’emploi de fonctionnaires territoriaux à temps partiel.

Les collectivités de moins de 1000 habitants et les regroupements de communes de moins de 15000 habitants peuvent recruter par voie de contrats sur l’ensemble de leurs emplois permanents.

Dans la fonction publique hospitalière, les établissements peuvent recruter des agents contractuels pour faire face à un accroissement temporaire ou saisonnier d’activité.

La nouvelle loi prévoit en outre  la création, dans les trois fonctions publiques, d’un « contrat de projet », d’une durée d’un à six ans, et dédié à des missions spécifiques. Il n’ouvrira pas de droit à une titularisation consécutive.

En ce qui concerne le déroulement de la carrière des fonctionnaires, la procédure de mutation est facilitée et accélérée, en supprimant par exemple l’avis préalable des commissions administratives paritaires pour ces décisions.

La loi supprime le recours à la notation et généralise l’entretien professionnel en tant que modalité d’évaluation individuelle des fonctionnaires.

Simplifier le cadre de gestion des agents publics

La loi vise à renforcer la transparence et l’équité en matière de contrôle déontologique.

A cette fin, la commission de déontologie de la fonction publique fusionne avec la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Celle-ci sera notamment saisie lorsqu’un doute survient quant à d’éventuels conflits d’intérêts, pour les fonctionnaires occupant des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, ou encore sur la compatibilité du projet de création ou de reprise d’une entreprise par un fonctionnaire, et/ou enfin pour les agents qui quittent de manière définitive ou temporaire le secteur public pour le secteur privé.

La durée du temps de travail est harmonisée dans les trois versants de la fonction publique, en prévoyant une durée annuelle de travail effectif de 1607 heures, soit 35 heures hebdomadaires.

Le droit de grève est encadré dans la fonction publique territoriale, afin de garantir la continuité du service dans des services publics indispensables dont la liste est expressément dressée : la collecte et le traitement de déchets des ménages, le transport public des personnes, l’aide aux personnes âgées et handicapées, l’accueil des enfants de moins de trois ans, l’accueil périscolaire, la restauration collective et scolaire.

Favoriser la mobilité et accompagner les transformations professionnelles des agents publics

La loi prévoit la possibilité de recourir à la rupture conventionnelle pour les fonctionnaires quittant la fonction publique. Ce mécanisme donne droit à une indemnité de rupture dont les montants doivent être fixés par décret, ainsi qu’au bénéfice de l’assurance chômage.

La loi crée un dispositif global d’accompagnement des agents dont l’emploi est supprimé dans le cadre d’une restructuration d’un service ou d’une administration.

La loi instaure également un mécanisme de détachement automatique pour les fonctionnaires en cas d’externalisation de leur service auprès d’une entreprise privée.

Renforcer l’égalité professionnelle

La loi prévoit la généralisation des dispositifs de signalement destinés aux victimes d’actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes et la mise en place de plans d’action obligatoires pour assurer l’égalité entre les femmes et les hommes.

La loi consacre enfin un chapitre visant à favoriser l’égalité professionnelles pour les travailleurs en situation de handicap, avec notamment l’expérimentation de la titularisation des apprentis en situation de handicap, l’aménagement des concours administratifs ou encore la création d’un mécanisme de détachement et d’intégration directe pour la promotion interne des fonctionnaires en situation de handicap.

L’examen de la loi par le Conseil constitutionnel : une validation sans réserve des dispositions déférées

Dans sa décision 2019-790 DC du 1er août 2019, tout en réaffirmant les principes constitutionnels applicables à la fonction publique, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de la loi qui lui étaient déférées ne sont pas contraires à ces principes, notamment au principe de participation, à celui de l’égal accès aux emplois publics, ou encore au droit de grève.

Ainsi, concernant le principe de participation, les dispositions déférées de la loi relatives au remplacement des comités techniques (CT) et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) par une instance paritaire unique, le comité social, faisaient l’objet de critiques au motif que cette nouvelle instance ne comporterait une formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail que lorsque les effectifs de l’administration ou de l’établissement dépasseraient un certain seuil.

Or le Conseil constitutionnel a expressément relevé que les comités sociaux, qui sont composés de représentants de l’administration et du personnel, « connaissent, quel que soit l’effectif de l’administration ou de l’établissement, des questions relatives à la protection de la santé physique et mentale, à l’hygiène, à la sécurité des agents dans leur travail, à l’organisation du travail, au télétravail, aux enjeux liés à la déconnexion et aux dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, à l’amélioration des conditions de travail et aux prescriptions légales afférentes ». Le Conseil en déduit ainsi que, « même lorsqu’aucune formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail n’est instituée au sein du comité social, les représentants du personnel participent, au sein de ce comité, à la protection de la santé et de la sécurité des agents. » Le droit de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, prévu par le 8ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, n’est donc pas méconnu.

S’agissant de l’égal accès aux emplois publics, plusieurs dispositions de la loi ont été déférées, relatives à l’élargissement des cas dans lesquels, par exception, des agents contractuels peuvent être recrutés pour occuper des emplois de direction dans les trois fonctions publiques. Il en est de même des dispositions permettant aux établissements publics de santé et médicaux-sociaux de recruter des contractuels afin de faire face à un accroissement temporaire ou saisonnier d’activité.

Les députés auteurs de la saisine invoquaient une violation du principe d’égal accès aux emplois publics dans la mesure où seul le recrutement par la voie du concours permettrait et garantirait une sélection fondée sur la capacité.

Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, tous les citoyens « sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Le Conseil constitutionnel a toutefois précisé que « le principe d’égal accès aux emplois publics n’interdit pas au législateur de prévoir que des personnes n’ayant pas la qualité de fonctionnaire puissent être nommées à des emplois qui sont en principe occupés par des fonctionnaires. »

Il a également relevé qu’en vertu de la loi déférée, et à l’exception des emplois supérieurs à la décision du Gouvernement, de ceux de directeur général des services d’une collectivité territoriale et de ceux de direction de la fonction publique hospitalière, « le recrutement d’agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents doit respecter une procédure garantissant l’égal accès aux emplois publics. À ce titre, l’autorité compétente assure la publicité de la vacance et de la création de ces emplois. »

En outre, même pour les emplois pour lesquels la procédure précitée ne s’applique pas, les Sages ont rappelé qu’il « appartient aux autorités compétentes, sous le contrôle du juge, de fonder leur décision de nomination sur la capacité des intéressés à remplir leur mission ».

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel a validé les dispositions contestées qui ne méconnaissent pas le principe d’égal accès aux emplois publics.

Enfin, concernant les dispositions encadrant l’exercice du droit de grève dans certains services publics locaux, les députés auteurs de la saisine estimaient qu’elles apporteraient des restrictions excessives au droit de grève et qu’elles ne détermineraient pas de façon suffisamment précise les services publics et les agents concernés par ces nouvelles obligations.

Le Conseil constitutionnel, mentionnant le 7ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », a rappelé qu’ « en édictant cette disposition, les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle mais qu’il a des limites et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. En ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle. »

C’est donc le juste équilibre entre deux principes, le droit de grève et la continuité du service public, qui est recherché et évalué par la Conseil constitutionnel.

Dans le cadre des dispositions déférées, le Conseil a considéré que le législateur, en dressant une liste exhaustive des services concernés, avait suffisamment délimité le champ des services publics soumis à ce nouveau régime.

Le Conseil constitutionnel relève en outre que le législateur « a également précisé que ce dispositif n’est applicable à ces services publics que lorsque leur interruption, en cas de grève des agents publics participant directement à leur exécution, contreviendrait au respect de l’ordre public, notamment à la salubrité publique, ou aux besoins essentiels des usagers de ces services. »

De même, en veillant toujours à l’adéquation entre droit de grève et continuité du service public, le Conseil constitutionnel a considéré que « l’obligation de déclaration préalable de participation à la grève, qui ne saurait être étendue à l’ensemble des agents, n’est opposable qu’aux seuls agents participant directement à l’exécution des services publics mentionnés ci-dessus et qualifiés « d’indispensables » à la continuité du service public dans l’accord ou dans la délibération de la collectivité ou de l’établissement ».

Le Conseil précise enfin que l’obligation de déclaration préalable « n’interdit pas à un de ces agents de rejoindre un mouvement de grève déjà engagé (…), dès lors qu’il en informe l’autorité territoriale au plus tard quarante-huit heures à l’avance. »

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel retient que les aménagements apportés au droit de grève ne sont pas disproportionnés à l’objectif poursuivi et sont conformes à la Constitution, comme l’ensemble des dispositions déférées devant lui.

02 août 2019  | Anne Bost