Par une décision du 23 mars 2023, le Conseil d’Etat a, dans le cadre d’une procédure de référé, reconnu à la Ville de Paris le droit de s’opposer à la transformation de commerces de proximité en « dark stores » (ou supérettes fantômes). Les exploitants de ces nouvelles structures qui, tels que Frichti ou Gorillas, essaiment dans les grandes métropoles, se servent de petites surfaces, équivalentes à des superettes de quartiers, pour stocker des produits de consommation courante qui sont ensuite livrés dans de très brefs délais à des clients passant commandes sur Internet.

La décision du Conseil d’Etat met un terme à une controverse qui oppose, depuis l’été 2022, la mairie de Paris à ces nouveaux opérateurs quant à la sous-destination dont relèvent les dark stores au regard du droit de l’urbanisme. La mairie de Paris soutenait, d’une part, que ces dark stores s’apparentent à de simples entrepôts et, d’autre part, qu’elle peut par conséquent s’opposer à un changement de destination d’un commerce en entrepôt et mettre les opérateurs en demeure de rétablir les lieux dans l’état de leur précédente destination – ceci même lorsque le changement n’a pas requis de travaux.

Le Conseil d’Etat a donné raison à la thèse de la mairie de Paris. Il a d’abord considéré que les dark stores relèvent bien de la destination « entrepôts » au sens du droit de l’urbanisme, par conséquent soumis à des règles d’implantation plus strictes que les commerces. D’après la Haute juridiction, le fait que ces dark stores comportent des points de retrait pour déployer les livraisons ne suffit pas, contrairement à ce que soutenaient les opérateurs concernés, à assimiler ces structures à des commerces de détail.

S’agissant des pouvoirs conférés aux autorités compétentes en matière de remise en état, le Conseil d’Etat a adopté une interprétation assez constructive de l’article L481-1 du code de l’urbanisme. En effet, la lettre de cette disposition qui permet aux autorités compétentes d’ordonner des remises en état se réfère expressément à des opérations impliquant des travaux. Le Conseil d’Etat a néanmoins estimé que les autorités compétentes peuvent mettre les opérateurs en demeure même en l’absence de travaux. Ce pouvoir d’injonction a donc également vocation à s’exercer dans le cadre d’opérations de stricts changements de destination soumises à déclarations préalable et n’impliquant pas de travaux. La formulation générale de la motivation de la décision sur ce point suggère que la portée de cette solution excède le sujet des dark stores.

Même si la décision du Conseil d’Etat, intervenue en référé, est procéduralement provisoire, un changement de position paraît désormais improbable. L’essor des dark stores risque donc d’enregistrer un sérieux ralentissement.

Matthieu Ragot