Les juridictions nationales ont la faculté de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union. Elles apprécient discrétionnairement les demandes qui pourraient être formulées par les parties à cet égard. Seules les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne sont tenues de saisir la Cour. Certaines juridictions suprêmes des Etats membres ont parfois résisté, tel le Conseil d’Etat, sur le fondement de la théorie de l’acte clair. La jurisprudence de la Cour de justice s’est révélée libérale sur ce point. D’abord, elle a dispensé les juridictions nationales d’un tel renvoi lorsque la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà fait l’objet d’une décision préjudicielle dans une espèce analogue. Ensuite et surtout, la Cour de justice a jugé que l’application correcte du droit communautaire peut s’imposer « avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée » (6 octobre 1982, Cilfit, 283/81).

Toutefois, au titre de la protection juridictionnelle, certains plaideurs estiment qu’ils ont « un droit » au renvoi préjudiciel de questions qu’ils soulèvent à l’occasion d’une procédure interne. La Cour européenne des droits de l’homme rejette cette vue par un arrêt du 24 avril 2018 dans l’affaire Baydar c/ Pays-Bas. L’intéressé, reconnu coupable de trafic d’héroïne et de traite d’êtres humains, avait été condamné à une peine de prison. La Cour de cassation néerlandaise a rejeté son pourvoi en même temps que sa demande de renvoi préjudiciel à la CJUE qui tendait à faire préciser l’interprétation d’un terme des textes européens applicables. Invoquant le droit à un procès équitable, le requérant se plaignait que la Cour de cassation eût refusé de faire droit à sa demande et il soutenait qu’elle n’avait pas suffisamment motivé sa décision.

La CEDH considère que les cours suprêmes peuvent rejeter un grief par simple référence aux dispositions légales pertinentes si l’affaire ne soulève pas de question de droit d’une importance fondamentale, en particulier dans le cadre de procédures accélérées, sans manquer au droit à un procès équitable. Elle souscrit à l’explication de la juridiction nationale selon laquelle il est clair que lorsqu’un pourvoi est rejeté, il n’est pas nécessaire de poser une question préjudicielle puisque l’affaire ne soulève pas de question de droit qui doive être tranchée. Elle rappelle la jurisprudence de la CJUE selon laquelle les juges nationaux ne sont pas tenus de renvoyer des questions d’interprétation du droit de l’Union auxquelles la réponse serait sans incidence sur l’issue du procès. La Cour de Luxembourg a jugé, en effet, que les juridictions dont les décisions sont insusceptibles de recours jouissent du même pouvoir d’appréciation que toutes les autres juridictions nationales en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit de l’Union est nécessaire pour leur permettre de résoudre le litige. Si les moyens soulevés doivent être déclarés irrecevables, une demande de décision préjudicielle ne saurait être considérée comme nécessaire et pertinente pour que cette juridiction rende sa décision (15 mars 2017, Lucio Cesare Aquino, C-3/16).

2 mai 2018  | Jean-Yves de Cara