Par une ordonnance du 31 janvier 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu l’essentiel des dispositions de la circulaire du Ministre de l’Intérieur du 10 décembre 2019 relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020.

La circulaire contestée fixe à 9000 habitants le seuil des communes à partir duquel les préfets sont appelés à procéder au nuançage des listes et candidats à des fins d’analyse électorale.

Une telle attribution vise à permettre aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales.

Pour mémoire, lors des précédentes élections municipales de 2014, le seuil était nettement plus bas puisque les préfets attribuaient des nuances politiques à toutes les communes de plus de 1000 habitants.

Cette circulaire ni signée ni publiée -mais seulement adressée aux préfets-, a fait couler beaucoup d’encre et suscité de vives polémiques. Il a en effet été reproché au gouvernement une manœuvre qui, par cette modification sensible du seuil, permettrait de gonfler artificiellement les scores de LREM, en gommant les résultats des petites communes où le parti de la majorité présidentielle semble susceptible de réaliser de plus faibles performances.

Six recours ont été déposés, notamment par Les Républicains, le Parti Socialiste et Debout la France.

Le juge des référés a considéré que l’urgence -condition nécessaire à la recevabilité du référé- était constituée compte tenu de la proximité du scrutin municipal et de l’enregistrement très prochain des candidatures.

Le juge des référés a prononcé la suspension de trois séries de dispositions de cette circulaire :

L’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9000 habitants ou plus

Le Conseil d’Etat a censuré la circulaire, en jugeant que le seuil de communes de 9000 habitants retenu par le ministre « conduit, dans plus de 95% des communes, à ne pas attribuer de nuance politique et exclut, ainsi, de la présentation nationale des résultats des premier et second tours des élections municipales à venir, les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs ».

La Haute juridiction précise en outre que « si pour plus de 80% des listes présentes dans ces communes, les nuances attribuées lors des élections municipales de 2014 ne correspondaient pas à celles d’un parti politique, il n’est pas contesté que, pour les trois quarts d’entre elles, il avait été possible d’attribuer des nuances intitulées « divers droite » et « divers gauche », reflétant ainsi des choix politiques des électeurs. » Le juge des référés en titre donc pour conséquence que le seuil de 9000 habitants a « pour effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40% du corps électoral ».

Il en a déduit qu’une telle disposition ne pouvait être appliquée et constituait une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’objectif même de la circulaire, qui est d’analyser le plus précisément possible les résultats électoraux afin de donner aux pouvoirs publics et aux citoyens l’information la plus complète et exacte possible.

Le mode d’attribution de la nuance « Liste Divers Centre » (LDVC)

La circulaire prévoit qu’en principe, seule l’investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d’attribuer une nuance politique à une liste. Elle fait toutefois exception à cette règle pour les listes qui seront soutenues par les partis LREM, le MODEM, l’UDI ou par « la majorité présidentielle », dont les résultats seront comptabilisés dans la nuance « divers centre », alors que le soutien d’un parti de gauche ou d’un parti de droite à une liste ne permet pas de prendre en compte ses résultats au titre respectivement des nuances « divers gauche » et « divers droite ».

Le juge des référés a estimé que la circulaire instituait ainsi une différence de traitement entre les partis politiques, laquelle est contraire au principe d’égalité.

La classification de la nuance «Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite »

Le parti «Debout la France » a contesté le choix du ministère d’attribuer à ses listes la nuance « extrême-droite ». Le juge des référés, retraçant l’historique de ce parti depuis sa création en 2008 et les différentes nuances qui lui ont été successivement attribuées, relève que la classification « extrême-droite » attribuée par la circulaire ne s’expliquait que par le seul soutien apporté par le président de « Debout la France », à l’issue du premier tour des élections présidentielles, en faveur de la présidente du Rassemblement national. Il relève que ce classement n’a en revanche pas pris en compte, notamment, le programme de ce parti et l’absence d’accord conclu avec le Rassemblement national.

Dans ces conditions, c’est encore sur le terrain de l’erreur manifeste d’appréciation que le juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu ces dispositions, dès lors que le classement de la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite » ne s’appuyait pas sur des indices objectifs.

Le Ministre de l’Intérieur a d’ores et déjà annoncé qu’il soumettrait très rapidement une nouvelle version de la circulaire suspendue, « sans renoncer à répondre aux demandes des élus locaux et à correspondre aux mutations du paysage politique français ». Nul doute que ce nouveau texte fera l’objet d’une attention particulière…

4 février 2020  | Anne Bost |