Interview de Maxime de Guillenchmidt avec AEF Info, publiée le jeudi 22 septembre 2022, deux jours après une décision en référé-libéré du Conseil d’État.

« C’est une évolution attendue. Ce n’est pas une révolution, mais ce n’est pas insignifiant non plus. (…) Cela fait quatorze ans que le Conseil d’État reconnaît la protection de l’environnement comme un objectif à valeur constitutionnelle. Depuis, elle est régulièrement invoquée dans des procédures au fond et dans les autres référés. C’est la première fois qu’elle l’est dans un référé-liberté. Mais c’est une évolution naturelle, logique. »

Quelle est l’affaire jugée par le Conseil d’Etat ? Cette décision va-t-elle avoir de fortes conséquences sur les décisions prises en droit administratif ? Explications.

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Charte de l’environnement : la reconnaissance de l’article 1er comme liberté fondamentale était « logique »

« Ce n’est pas une révolution, mais ce n’est pas insignifiant non plus », considère Maxime de Guillenchmidt auprès d’AEF info, jeudi 22 septembre 2022, deux jours après une décision en référé-libéré du Conseil d’État. La plus haute juridiction administrative a reconnu le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, comme une liberté fondamentale. Celle-ci sera désormais « probablement davantage invoquée, mais les juges administratifs continueront à appliquer des critères très stricts et à faire la balance entre toutes les libertés. Ce n’est pas une libération des vannes », considère l’avocat, associé et managing partner au cabinet DGA.

AEF info : Une décision prise par le Conseil d’État le 20 septembre dans le cadre d’un référé-liberté a fait réagir de nombreux avocats en droit de l’environnement. Certains ont évoqué une « révolution », d’autres se sont montrés plus prudents. Quelle est votre analyse ?

Maxime de Guillenchmidt : Je dirais que c’est une évolution attendue. Ce n’est pas une révolution, mais ce n’est pas insignifiant non plus. Le Conseil d’État reconnaît le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, comme une liberté fondamentale, sachant que les libertés fondamentales peuvent être invoquées dans les référés-liberté. Cela fait quatorze ans que le Conseil d’État reconnaît la protection de l’environnement comme un objectif à valeur constitutionnelle. Depuis, elle est régulièrement invoquée dans des procédures au fonds et dans les autres référés. C’est la première fois qu’elle l’est dans un référé-liberté. Mais c’est une évolution naturelle, logique.

Ce qu’a fait le Conseil d’État, finalement, c’est introduire par la jurisprudence une proposition de mars 2021 de la mission flash de l’Assemblée nationale sur le référé spécial environnemental qui consistait à « intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l’environnement dans le champ du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative ».

AEF info : Cette décision va-t-elle avoir de fortes conséquences sur les décisions prises en droit administratif ?

Maxime de Guillenchmidt : Les décisions en référé-liberté sont prises en 48 heures, les atteintes doivent être graves et les violations au droit flagrantes pour que le juge se prononce contre une décision émanant de l’administration. Cette nouvelle liberté fondamentale sera probablement davantage invoquée, mais les juges administratifs continueront à appliquer des critères très stricts et à faire la balance entre toutes les libertés. Ce n’est pas une libération des vannes. Cela prendra peut-être un an ou deux avant que le juge ne prenne une décision défavorable à l’État sur ce fondement.

Dans cette décision précise, le diagnostic environnemental avait été réalisé en amont, donc le juge n’a pas reconnu une atteinte grave et urgence. Cela ne veut pas dire que la décision de travaux ne sera pas annulée au fond.

AEF info : Le Conseil d’État se retrouve au centre de nombreux contentieux environnementaux, avec de récentes décisions très médiatisées sur la pollution de l’air et le climat. Comment interprétez-vous cette évolution ?

Maxime de Guillenchmidt : Ces décisions relèvent avant tout du symbole. Elles montrent que les juridictions administratives ne négligent pas le droit de l’environnement, que celui-ci va irriguer toutes les décisions économiques dans les années à venir.

QUELLE EST L’AFFAIRE JUGÉE PAR LE CONSEIL D’ÉTAT

L’affaire concerne une décision de recalibrage de la route départementale n° 29 du Var prise par le conseil départemental par une délibération du 27 octobre 2016, au niveau de la commune de La Crau, avec la création d’une voie cyclable. Les travaux correspondants ont commencé au cours de l’année 2021. Par une ordonnance du 25 mars 2021, rendue sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de « M. et Mme C » tendant, sur le fondement de l’article L. 521-2 du même code, à ce qu’il soit enjoint au département du Var de suspendre ces travaux. M. et Mme C se sont pourvus en cassation contre cette ordonnance. Ils possèdent un laboratoire limitrophe de l’endroit où se déroulent les travaux contestés et où ils mènent depuis plusieurs années un travail de recensement et d’études des espèces protégées s’y trouvant.

Dans sa décision du 20 septembre 2022, Le Conseil d’État annule l’ordonnance. « Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative », établit-il. Ainsi, en jugeant que la protection de l’environnement ne constituait pas une liberté fondamentale, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a « commis une erreur de droit ».

Cependant, « le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article ». Or, pour le juge, « il ne résulte pas de l’instruction que la poursuite des travaux contestés porterait une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Ce qui conduit la juridiction à rejeter la demande de suspension des travaux.

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